Depuis quelques mois, le centre de gravité du combat amazigh (berbère) se déplace vers le Sud : la bataille de Tripoli est à peine terminée qu'un nouvel engagement s'est amorcé du côté des Touaregs de Tombouctou, Gao et Kidal.
La désinformation chronique des médias français à l'égard de l'Azawad (ex Mali du Nord) est telle que le rétablissement de l'authenticité du combat touareg s'avère pressant. Nous proposons d'apporter un éclairage sur l'environnement hostile, mais aussi sur les soutiens dont bénéficient les Touaregs.
Par ailleurs, des rappels historiques sur l'engagement des Azawadiens avec des précisions sur leur lutte actuelle ainsi que sur leur projet de société sont indiqués.
Contrairement aux affirmations distillées, le mouvement indépendantiste touareg n'a pas débuté le 17 janvier 2012 mais date en réalité de plus de cinquante ans ! Cette donnée permanente ne saurait être occultée par la conjoncture de l'événementiel actuel. (Voir plus bas).
Le 6 avril dernier, le Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA) a proclamé l'indépendance de ce territoire aussi grand que la France, la Belgique, la Suisse et l'Autriche réunies.
Unanime, l'ensemble de la communauté berbère apporte un vif soutien aux Touaregs de l'Azawad (territoire de la transhumance). Les moyens et les opportunités sont encore variés et non coordonnés, mais il y a incontestablement un fort sentiment d'adhésion. Au vu de l'éclatement de cette communauté-nation entre plusieurs pays de l'Afrique du Nord, les cheminements des uns et des autres ont été jusqu'ici circonscrits à l'échelle des frontières… Les passages entre l'Algérie et le Maroc sont par exemple interdits depuis des décennies. Il en est de même pour l'Azawad depuis son indépendance proclamée.
S'il est vrai que les soutiens actifs des autres fragments berbères sont incontestables, leurs manifestions sont encore liées aux différentes situations internes. Citons deux exemples : la Kabylie et la Tamazgha occidentale (Maroc).
1 – La Kabylie :
Elle est l'initiatrice de la massification de la revendication berbère. A tel point que la date du 20 avril 1980 (jour de la grande répression du mouvement, puis suivie de la révolte du peuple kabyle) est devenue un emblème pour toutes les composantes berbères. Et ce, au delà même des frontières. Ce jour symbolique de la renaissance est célébré au Maroc, en Libye, aux Canaries, etc.
Idéologiquement, la Kabylie a inscrit ses revendications sur les luttes démocratiques et pacifiques appuyées jusqu'en 2001 par des démonstrations de masse (jusqu'à 2 millions de manifestants à Alger).
L'autisme de l’État algérien, s'adossant sur sa capacité répressive et manipulatoire, a fini par user le mouvement kabyle qui s'entête, depuis une génération, dans la même stratégie : convaincre le pouvoir central. Inéluctablement, la crise morale et intellectuelle devait survenir un jour ou l'autre. Cette donnée explique en partie pourquoi la Kabylie a du mal à se réapproprier « l'Amour du Soi ».
Voilà pourquoi, le soutien au MNLA n'est pas encore une cause centrale, même si la dernière marche du 20 avril de Tizi-Ouzou fut dédiée par le MAK aux Touaregs de l'Azawad.
2 - Tamazgha occidentale :
Initialement bâti en une sphère culturaliste et associative, le mouvement berbère marocain envahit de plus en plus le champ politique. Majoritaires dans ce pays, les Berbères semblent décidés à le devenir aussi sur le plan politique. Après le printemps dit « arabe » dont on sait ce qu'il en est advenu, les Amazighs du Maroc aspirent à un véritable printemps amazigh dont le socle sera la démocratie et la laïcité.
Dans cet esprit, la grande manifestation du 20 avril dernier a rassemblé à Casablanca des gens venus de toutes les villes. Il fut affirmé un soutien sans ambigüités aux Touaregs de l'Azawad.
C'est bien la première fois qu'un mouvement s'exprime aussi nettement sur une question externe d'importance. L'opposition frontale au Makhzen (qui, lui, rejette l’État Azawad) inaugure la solidité des forces identitaires et démocratiques qui se mettent en place au Maroc.
L'offensive récente du MNLA a non seulement mis en exergue la débandade des soldats maliens qui ne croyaient plus en la cause du pouvoir central, mais aussi l'inquiétude conjointe de la France et des États voisins. Au demeurant il est avéré que la reconnaissance internationale de nouveaux États est généralement lente. Il y a cependant des cas particuliers tels que le Kosovo, la Slovénie qui ont été immédiatement admis dans le concert des nations. Cette question serait sujette au bon vouloir et aux intérêts des « grands ». A titre d'exemple, la Chine ne fut reconnue par la France qu'en 1964 !
Risque t-il d'en être de même pour l'Azawad ?
Pour la France, cela dépendra assurément plus des gains mercantiles que du niveau d'acceptation du changement géopolitique qui s'opère en Afrique du Nord. Pour l'Algérie, les raisons sont plutôt jacobines car un État touareg donnera une preuve manifeste aux Kabyles de la viabilité d'une indépendance berbère.
Mal à l'aise, les dirigeants des pays voisins (sous influence ?) se limitent pour le moment au blâme diplomatique. Mais les désapprobations des chancelleries sont bousculées par les soutiens actifs - vus plus haut - auxquels on peut ajouter l'appui breton et surtout le franc engagement catalan.
C'est ainsi que, suite au rassemblement de Barcelone, une lettre demandant la reconnaissance de l’État de l'Azawad a été remise au président du gouvernement catalan.
D'abord il y a la réprobation officielle de la France.
Deux raisons au moins expliquent sa position.
– La première est « politico-historique » : l'ancienne métropole a toujours gardé ses intérêts dans ce qui est appelé la Françafrique. Ses rentes sont en réalité celles de quelques entreprises prédatrices du CAC40. Lors des « indépendances », les frontières de l'Afrique du Nord ont été tracées artificiellement avec une règle, une équerre et un compas. Sans boussole identitaire et au mépris total des autochtones millénaires.
A titre de comparaison, une désinvolture similaire mine depuis 1948 les relations entre l'Inde et le Pakistan.
Sur le même registre, il y a aussi le cas kurde. Tout comme les Kurdes, le peuple touareg est artificiellement partagé entre cinq États.
– La deuxième est directement liée aux découvertes des champs pétroliers de Taoudenni (750 km au nord de Tombouctou et assez proche de la frontière algérienne). Sur vingt-neuf champs repérés, quinze ont déjà été attribués à des sociétés australiennes et chinoises (Baraka Mali Venture et Sinopec notamment), et les blocs non encore négociés attisent les convoitises de la multinationale française (Total-Elf). L'intérêt suscité par les parcelles pétrolières et gazières est fort d'autant plus que d'autres découvertes sont à prévoir.
Il y a ensuite la négation algérienne
Le paradoxe de l'Algérie est qu'elle se veut puissance régionale tout en étant minée par des graves dissensions internes. En ce mois de mai elle doit renouveler son assemblée. Cette dernière, déjà préfabriquée par le régime n'aura aucune influence sur le cours des événements. D'ailleurs, il est attendu un boycott spectaculaire, notamment en Kabylie.
Pour le pouvoir central d'Alger, l'Azawad est de facto un enjeu interne.
L'indépendance du pays touareg, même situé en dehors de l'Algérie, constitue un précédent pouvant donner une nouvelle réalité aux Kabyles.
N'étant pas en mesure de combattre frontalement le MNLA - et quand bien même le pourrait-elle, l'Algérie se mettrait en flagrant délit d'ingérence - elle use de son DRS (Département de Renseignement et de Sécurité), principale source du régime. Habitué aux coups tordus en interne, le DRS tente sa carte en se parachutant en Azawad.
La mission risque d'être infructueuse car le MNLA est constitué de jeunes cadres déterminés et qui n'ont jamais eu de rapports avec Alger (contrairement à leurs ainés).
Autre paradoxe : l'Algérie, s'appuyant sur la déclaration des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes, soutient activement l'autodétermination des Sahraouis du Polisario, mais refuse celle des Touaregs de l'Azawad…
Troisièmement, il y a la Communauté Économique De l'Afrique de l'Ouest (Cédéao)
Très largement influencé par la France, cet hétéroclite agrégat économique de l'Afrique de l'Ouest s'est calqué sur l'Union Européenne. Assez rapidement, il s'est doté de moyens militaires pour la paix dans la région (!).
Par ailleurs, la Cédéao est représentée par Alassane Ouattara, qui a pris le pouvoir avec l'aide de la France, suite à une rébellion dans le nord de la Côte d'Ivoire. Nous voyons que les rébellions arrangent parfois (…).
Le territoire de l'Azawad n'est pas encore totalement stabilisé, mais aujourd'hui on ne peut nier qu'il n'y a plus de guerre en pays touareg.
Alors pourquoi la Cédéao s'engage-t-elle à rassembler 3.000 hommes ? Est-ce pour faire lâcher prise à la junte militaire qui a renversé le président du Mali ? Ou pour envahir l'Azawad ?
Contrairement aux allégations entretenues par les médias, le réveil touareg ne s'est pas spontanément effectué le 17 janvier 2012.
Un chiffre éloquent : depuis son indépendance, le Mali est passé de 7 à 14 millions d'habitants tandis que la population touarègue a stagné à 0,5 million. Pendant tout ce temps, une génération de Touaregs a été décimée.
Dès 1958, à la veille de l'indépendance, les chefs des tribus ont adressé une lettre officielle au général de Gaulle dans laquelle ils affirmaient fermement leur refus d'être rattachés au Mali. La revendication d'un État saharien était donc déjà posée.
Depuis l'indépendance du Mali (1960), des révoltes importantes se sont égrenées.
La première eut lieu en 1963. Elle eut pour conséquence une terrible répression avec le massacre de tous les sympathisants autonomistes touaregs. Des exécutions publiques des militants furent organisées, et ce devant leurs enfants forcés à applaudir la mise à mort de leurs parents.
La décennie 1973-1983, caractérisant une sécheresse accrue engendra un exode massif vers les pays voisins (Libye notamment).
La deuxième rébellion eut lieu en 1991. Elle eut plus de résultats et fut couronnée par le pacte d'Alger (1993). Ces accords reconnaissaient une large autonomie à l'Azawad.
Par ailleurs, le Mali s'est engagé à construire des routes entre les grandes villes du pays. Or aujourd'hui encore, la liaison entre ces villes (Tombouctou, Kidal, Gao) n'est qu'une vague piste non entretenue, et le premier aéroport est souvent à plus de deux jours de route.
Le Mali s'est par ailleurs engagé à distribuer 5.000 bourses annuelles aux étudiants touaregs. Ces accords, avec bien d'autres, ne furent jamais honorés.
Devant ce constat, de jeunes Touaregs repensent la stratégie en l'axant sur un mouvement politique et ouvert (2006). Fut ainsi lancé le MNA (Mouvement National de l'Azawad). Ce mouvement tient son congrès en octobre 2010 à Tombouctou. La salle de réunion fut cernée par les troupes maliennes et les congressistes trouvés furent arrêtés.
En 2011, l'approche politique s'est naturellement renforcée d'un bras armé. C'est dans ce contexte qu'est créé le MNLA.
Pour résumer, le MNLA est une organisation politico-militaire moderne constituée de jeunes diplômés. Les protagonistes voisins (Algérie,…) n'ont aucune prise sur ses éléments car ils n'ont pas de passé encombrant.
Ce mouvement prône la démocratie et la laïcité pour les Azawdiens. C'est une première en Afrique du Nord !
Voila sans doute pourquoi il gène.
Sur le plan militaire, le MNLA s'est déployé tout autour de l'Azawad et contrôle en pratique tout le pays, même si la communication (française notamment) vise à le ternir en l'accusant d'accointance avec son piètre concurrent salafiste (Ançar Dine).
Le MNLA dispose de plus de 3.000 hommes. Voulant éviter de nouvelles destructions, il cherche à extraire les intégristes par des moyens autres que la violence. Ainsi donc, sur le terrain, ce sont les autochtones qui mettent en avant les droits de l'Homme. Et de la Femme bien entendu !
Mais ne dit-on pas que chez les Touaregs, ce sont les hommes qui sont voilés et non les femmes ?
Gérard Lamari