Guindreff. Pour les étrangers, un hameau breton. Pour les Nazairiens, des bassins en banane au nord-ouest de la ville, un lotissement sur ses lisières. Des blockhaus sur la pointe est. Un pigeonnier au sud. Guindreff, c'est là que le béton avance maintenant, avec la bénédiction de la mairie.
Guindreff. A l'été 2011, le lotissement est mis en tempête par un permis de construire affiché sur le terrain d'en face. Une méga-résidence pour personnes âgées sur cinq étages, le projet est porté par Aegide et Nexity. La mairie de Saint-Nazaire accorde, libéralement comme à son habitude, un permis de construire. Cent-vingt-sept logements en plongée sur les maisonnettes. Les riverains se constituent en association et rédigent le recours en excès de pouvoir auprès du tribunal administratif. Objectif : réduire la voilure et la hauteur de l'immeuble, faire conserver le pigeonnier et le puits.
Car eux deux sont des monuments du vieux Saint-Nazaire et ont échappé, malgré la proximité de positions fortifiées allemandes (Nz 130 (voir le site) et Nz 428 (voir le site) ) aux bombardements et aux affres de l'urbanisation d'après-guerre qui ont rayé une bonne partie de Saint-Nazaire de la carte. Le pigeonnier porte la date de 1750. Il est le dernier élément, avec le puits, d'une maison noble qu'acquiert ou hérite Denis-Guillaume Du MATZ de KERANVAY, dont la famille est originaire du Matz à La Chapelle-Launay, près de Savenay, et qui en fait l'aveu en 1709 (c'est-à-dire qu'il énumère le contenu du domaine et ses droits seigneuriaux au seigneur de rang immédiatement supérieur dont il dépendait alors). Marié à Perrine Paquet, il hérite de la maison noble de Kerlédé et eut trois filles : Anne-Marquise (┼ 1741) dont, selon le droit nobiliaire breton, hérite sa sœur Geneviève du Matz d'Armanjo, dame de Guindreff (┼1743), dont hérite à son tour la sœur cadette, Jeanne, qui reconstruit le colombier et décède en 1756. Le château échappe aux destructions de la Révolution, mais ne survivra pas à la guerre : réquisitionné par les Allemands, il périt pendant la guerre, le quartier ayant reçu un chapelet de bombes peut-être destinées à l'anéantissement de l'ancienne usine située au bout du bassin de Guindreff, ou de la position de défense contre-aérienne Nz428. Les pierres du château servent à construire dans les années 1960 la maison des nouveaux propriétaires du parc, qui restaurent aussi le colombier. Qui sera conservé par le projet immobilier comme point de repère et signal du projet immobilier, comme dernier vestige d'un bien dont le premier propriétaire connu est le roturier Etienne Mocquart, maitre de la maison noble de Guindreff en 1634. Mais comment se mariera-t-il avec des bâtiments modernes ?
Les riverains déposent leur recours, et le promoteur répond en demandant des dommages et intérêts. Mais la Ville de Saint-Nazaire déséquilibre la balance en faveur des promoteurs en demandant elle aussi des dommages et intérêts. Ce qui pourrait se comprendre si elle était le maître d'œuvre d'une installation d'intérêt général (exemple, un stade ou des logements HLM), mais qui constitue un abus, voire un détournement de pouvoir de la puissance publique qu'elle représente, puisqu'elle se trouve au service de promoteurs privés.
Le rapport de forces étant ainsi établi en défaveur des habitants, qui se seraient retrouvés à payer 15.000 € s'ils avaient perdu leur cause, des négociations très cordiales s'ouvrent afin que les promoteurs ne perdent pas de temps en justice – le temps d'intervention du tribunal administratif de Nantes étant estimé de 7 mois à deux ans – et donc d'argent. Les riverains obtiennent de haute lutte, non la réduction de deux étages, qui enlevait toute rentabilité à l'opération immobilière, mais la conservation du puits, le renforcement des haies et protections végétales, douze stationnements herbus en plus (pour 127 logements, seules 76 places étaient prévues), l'expertise de leurs maisons avant et après travaux, la suppression de deux logements dont les vues plongeaient par trop sur les maisons voisines.
Construire plus pour accueillir une population en croissance continue, entre solde naturel nettement positif (malgré l'expatriation des étudiants) et Français et Britanniques qui se sentent mal dans leurs pays respectifs et viennent en Bretagne : les élus et les communes de notre pays sont soumis à rude tâche et la course est quasi-générale aux terrains tant agricoles que constructibles pour, à la fois contenir l'étalement urbain, bâtir et nourrir la population nouvellement arrivée. Dans ces conditions, il est effectivement compliqué de laisser 500 mètres de périmètre muséifié ou du moins intact autour de chaque élément de patrimoine. Mais de là à soutenir activement le bétonnage, il y a des limites.
Et ces limites ont été largement franchies par la municipalité nazairienne. Les habitants de Saint-Nazaire, amoureux du patrimoine et de l'histoire du grand port de la Bretagne (qui n'est pas né avec Napoléon !) constatent avec peine et crainte que les années Batteux sont en train d'achever le travail des bombardiers. Une municipalité qui fait pression sur la DRAC pour empêcher tout relevé du patrimoine, qui fait bétonner à tout va à deux pas de monuments ou de sites naturels classés (le dolmen en plein centre-ville, rue du Dolmen, dont la covisibilité a été saccagée par un projet immobilier tout proche), qui défigure les rares monuments du centre-ville qui ont échappé aux bombes (le manoir des Sables du XVe avec son affreux enduit orange), qui a réclamé ses archives anciennes (d'avant 1789, notamment les aveux des maisons nobles) aux Archives départementales de Loire-Atlantique pour les empiler dans un sous-sol de la mairie, qui paysdeloirise à tout va le port de référence de la Bretagne (voir notre article), au mépris de son histoire et de son avenir, et qui laisse tomber en ruines tout ce qui lui déplaît, pourra-t-elle continuer à transformer Saint-Nazaire en morne et grise plaine en toute impunité ? Une ville qui rase ses squares et jardins publics pour les remplacer par des immeubles intitulés Botanica et qui s'étend sans s'arrêter sur ses campagnes les plus proches, une ville qui fait tout pour conforter son image injustifiée de ville laide… Où le système Batteux s'arrêtera-t-il ?
Jusqu'à quand les autorités de protection des Monuments Historiques, peu courageuses du reste quand il s'agit de recadrer la municipalité nantaise (Îlot Lambert, chapelle des Cordeliers (voir notre article) ) ou le Conseil Général empégué dans l'affaire sans fin du château d'Ancenis (voir notre article), douloureuse épine dans la protection du patrimoine breton, vont-elles délibérément ignorer ce qui se passe à Saint-Nazaire, à savoir la destruction méthodique, lente, sûre, du patrimoine ancien de la ville. A savoir le détournement constant de la puissance publique municipale au service des projets immobiliers, au service de l'ultramoderne conformisme immobilier qui n'a pas le mauvais goût d'être en schiste ou granite et d'être breton. Et, hormis l'autel sacré de Monsieur Batteux, la monumentale et incontournable base sous-marine où des millions, tant anciens que nouveaux, tant francs qu'européens, ont été engloutis, même le béton teuton subit les conséquences du bétonnage à tout va (voir notre article). Jusqu'où ?
Car non, ce n'est pas le rôle d'un exécutif municipal, qui devrait se dévouer pour le bien et l'intérêt général de sa ville, d'enraciner sa commune dans le moche. Car non, ce n'est pas le rôle d'une municipalité que de prêter main forte à des sociétés privées, surtout immobilières, et d'ester en justice à leurs côtés pour contraindre des riverains à reculer devant un dispendieux procès : l'abus de pouvoir ici, même s'il peut être de coutume sur les rives de la Méditerranée, constitue un dangereux précédent en Bretagne, et même dans cette partie de l'Hexagone qui n'a pas encore été touchée par la pratique méridionale du pouvoir (qui a déjà atteint le Pas-de-Calais (voir le site) Car non, enfin, ce n'est ni le rôle d'une municipalité, ni en faveur d'un maire, que de le voir déclarer dans les colonnes de L’Écho de la Presqu'île (voir le site) au sujet du château de Porcé construit en 1860 et qui se ruine tristement dans le plus beau coin de Saint-Nazaire, « j'étais donc favorable à sa destruction mais pour ne pas créer de polémique, j'ai décidé de l'abandonner en me disant qu'il tomberait tout seul. Ce qui arrive aujourd'hui. C'est loin d'être une œuvre d'art, qui plus est ». qu'il a délibérément laissé en plan un édifice municipal. Négligeant le jour où la responsabilité de la Ville – qu'il ne dirigera peut-être plus – sera engagée pour faute suite à un dommage causé par les ruines de la bâtisse.
Louis-Benoît GREFFE
Notes :
Nous remercions Sylvie LAUDRIN et Gabriel de SAINT-LOUP pour leur concours dans la réalisation de cet article.
■un etalement en campagne pendant que le centre se dépeuple.
homo sovieticus semble etre le nec plus ultra à st nazaire l'officielle , bref un homme nouveau dans des cubes (ou dans des niches), et bousiller la nature pour faire «grande ville»