Après le sinistre du passage de la Châtelaine : est-ce qu’un grand incendie à Nantes est possib

Enquete publié le 7/04/12 21:28 dans Société par Louis Bouveron pour Louis Bouveron

L'incendie qui a ravagé dans l'après-midi du 1er avril le passage de la Châtelaine entre les rues Scribe et Crébillon a ému profondément les Nantais. Il démontre aussi la nécessité de prendre en compte le risque incendie que représente le bâti particulièrement dense du centre-ville.


Huit des commerces du passage de la Châtelaine, qui relie le n° 20 de la rue Crébillon au sud au n° 9 de la rue Scribe au nord, sont ravagés par l'incendie, qui a complètement brûlé le cœur d'ilot, où se trouvaient dix-sept commerces. Le sinistre est parti du Tex Mex où curieusement aucun appareil électrique n'était en fonctionnement hormis les réfrigérateurs. Plus qu'un tex mex, tout un complexe nocturne, depuis 20 ans connu des Nantais (voir le site) En bas de la page d'accueil du site, une annonce cachée noir sur noir annonce que le restaurant était à vendre Restaurant à Vendre Nantes : Salle 140 places , cuicine équipée : renseignement contact@letex.fr. Le sera-t-il toujours alors que l'incendie vient d'annihiler toute sa valeur et que la reconstruction du Passage, qui devrait au moins durer un an, devrait revenir deux à trois fois plus cher que la valeur des bâtiments ?


Car les photos prises de l'incendie montrent que les bâtiments en cœur d'ilot étaient de modeste facture. Surtout du bois et du plâtre, à colombages, plus ou moins renforcé de briques. Car, contrairement à de nombreuses villes de France et de Bretagne (Rennes), le centre-ville nantais n'a que modestement bénéficié des opérations d'urbanisme du XIXe, qui, empreintes des théories hygiénistes, visaient à créer des grandes percées au cœur des ilots tassés des centres-villes historiques et à regrouper le plus possible le parcellaire sur leurs côtés. Le quartier Crébillon, les alentours des places Royale et Graslin, le quai de la Fosse, l'île Feydeau datent du XVIIIe siècle, comme de nombreux immeubles de la ville. À la fin du XVIIIe et au XIXe, alors que les industries attiraient dans la ville une population nombreuse venue des autres départements bretons, d'Anjou et de Vendée, ces hôtels furent transformés en immeubles de rapport, et l'espace manquant bouché par des constructions à moindre coût, en bois et en plâtre. Des ateliers s'installèrent là où il y avait encore de la place, les caves furent investies. Même après 1848, quand la ville se débarrassa de ses remparts et partit à l'assaut des coteaux environnants, le mouvement de densification du centre-ville se poursuivit, tandis qu'il s'amplifiait dans les faubourg (Saint-Clément, Richebourg près de la gare, la Fosse, Grande et petite Biesse près de l'église de la Madeleine).


Le centre ville de Nantes ne connut finalement ses grandes opérations d'urbanisme qu'au XXe, avec le comblement des canaux, puis la Reconstruction d'après guerre. Contrairement à bien des villes, les grandes avenues sont essentiellement implantées à l'extérieur du tissu urbain (cours des 50 Otages sur l'Erdre, boulevard Franklin Roosevelt sur un bras de la Loire, etc.) et les contre-allées les doublent sur l'emplacement des anciens quais. Puis, les bombardements détruisirent une grande partie du centre-ville, qui le plus souvent fut reconstruit à l'identique. Alors, la ville fut assainie, pour les ilots du moins qui ont été reconstruits. Mais, le quartier Crébillon étant globalement resté intact, les ilots reconstruits se juxtaposèrent aux autres, qui ne furent pas nettoyés pour autant de leurs combles, communs et autres ajouts du XIXe de mauvaise facture. Ajoutons à cela que le centre-ville étant aujourd'hui moins peuplé qu'en 1880 (année où, cas extrême, une courée ouvrière du quartier de Gigant comptait 83 habitants, à raison de 2 m² par personne) et que le bois a vieilli et séché, et on obtient un centre-ville historique qui, sans être plein de maisons à colombages comme l'est le vieux-Rennes, n'en est pas moins, voire plus, exposé au risque d'incendie. Un feu, si minime soit-il, qui partirait dans le centre de Nantes, peut brûler un ilot entier, et si ceux-ci sont relativement petits dans le quartier du Bouffay, ils sont beaucoup plus étendus dans les quartiers bâtis au nord-ouest du centre ancien au XVIIIe et au XIXe dans les faubourgs.


En tout état de cause, un incendie peut être arrêté au niveau des rues. Là, les immeubles du XVIIIe, en pierre de taille, sont de bonne facture. Arrêté, mais à condition d'être repéré assez rapidement. Et surtout arrêté. Mais comment savoir où amener l'eau, quoi éteindre en premier dans ce dédale de cours et de combles ouverts à tous vents ? Combles dont les riverains craignaient le risque d'incendie. Et ce alors même que le passage faisait déjà un formidable appel d'air…


Deux questions se posent alors. D'une part, est-ce que le centre-ville de Nantes peut brûler, tout ou partie, suite à un nouveau sinistre de ce genre ? La réponse est non, parce que justement les percées et places pratiquées au XVIIIe (rue Crébillon, rue Jean-Jacques Rousseau, place Royale…) et au XXe (élargissement des rues de la Barillerie et du Calvaire, cours des 50 Otages…) limitent le risque de propagation d'un sinistre d'une partie à l'autre de la ville.

D'autre part, est-ce qu'un nouveau sinistre de ce genre est possible ? Malheureusement oui, et le risque est amplifié par les passages, dont les côtés sont garnis de boutiques en bois, briques et plâtre, de galeries d'entrepôts etc. En-dehors du très connu passage Pommeraye (voir le site) qui prend appui dans un ilot dont les caractéristiques sont assez similaires à celui du passage de la Châtelaine (immeubles du XVIIIe, cœur d'ilot des années 1840, immeubles très vétustes au fond de la venelle du Puits d'Argent, dont le côté proche du Quai a été restauré, première cour y comprise), Nantes compte aussi le court passage d'Orléans (1827, entre Saint-Nicolas et la rue d'Orléans), et le rapport de la Société Académique de Loire-Inférieure pour l'année 1828 en annonce deux autres, sans préciser leur emplacement.


Si quelque chose est à faire après l'incendie du passage de la Châtelaine, c'est donner un élan nouveau à la revitalisation du bâti des parties cachées du centre-ville, des venelles telles que le passage du Commerce (voir le site) Sécuriser les combles, abattre les cagibis pour ouvriers du XIXe et les reconstruire en dur, rénover les installations électriques, qui, dans les parties communes de certains bâtiments, remontent à Edison, voilà l'urgence. Aérer les caves, fermer les combles, ouvrir de nouveaux accès aux courées, voilà l'urgence. Trancher les nœuds du maillage urbain, profiter de chaque opération d'urbanisme ou de construction neuve pour assainir l'ilot où elle prend pied (comme l'agrandissement prévu du passage Pommeraye à la place de l'immeuble de Presse Océan rue Santeuil), voilà l'urgence. À trop s'occuper de l'Île Sainte-Anne et de l’Éléphant, certains ont oublié le poids écrasant de l'héritage nantais : notre centre ville n'est décidément pas commun, et il devient urgent de le protéger contre lui-même.

Louis-Benoît GREFFE


Vos commentaires :
Ronan Kerguelen
Vendredi 8 novembre 2024
Très bon article. Merci

2CZE2
Vendredi 8 novembre 2024
Intéressant.
Un nantais.

navi
Vendredi 8 novembre 2024
Bonjour,
Etant concernée par les dégats de l'incendie, je suis allée faire un tour sur le site du tex : l'annonce a apparemment disparue (ou je n'ai pas été en mesure de la retrouver...) C'est curieux !
En parallèle, le propriétaire aura effectivement maintenant du mal à revendre son «restaurant», qui n'en est plus un depuis bien longtemps !
Merci pour l'article !

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