Des évêques bretons à Senlis avant l’an 600 …

Article publié le 4/02/12 14:11 dans Histoire de Bretagne par marc Patay Lejean pour ABP
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Senlis

Longtemps avant les Francs, il y eut au moins deux évêques bretons à Senlis, Mansuetus et Gonothigernus, et peut être trois autres, Litardus, Hodiernus (ou Fredigernus) et saint Rieul.

Des évêques bretons à Senlis et à Exmes

Mansuetus, "Mansuetus episcopus Britanurum", était, d'après Léon Fleuriot, évêque des Bretons et présent au concile de Tours en 461. Les noms bretons étaient souvent latinisés, comme l'illustre Morigène/Pélage. Mansuetus correspond peut-être au Chariatone, présent au concile d'Angers de 453, dont le nom signifie «aimant, charitable», du breton karout/aimer. Gonothigernus (Gontierne), évêque de Senlis, est présent au concile d'Orléans en 549 puis au troisième concile de Paris en 555 ou 557. Noter le suffixe en Tiern chez Gonothigernus et Hodiernus, Thigernus. Tiern, Macthiern, ont le sens de seigneur chez les Bretons.

Saint Rieul , fut le premier évêque de Senlis (+ 260), le compagnon de Denis de Paris, et le probable Rieul d'Arles, ville qui fut la résidence de l'empereur Constantin I. Rieul peut venir de Regulus mais aussi de Riwal (grand roi ou roi fameux, en breton). Autrefois, on représentait saint Rieul entouré d'un cerf et d'une biche, comme Cernunos (saint Cornelly), saint Edern, saint Hubert, saint Theleau et sainte Ninnoc. Le roi et saint semi-légendaire, Riwal ou Riware, est présenté comme «le premier prêtre émigré sur le continent ». Quant à l'évêque Litardus, il fut, au VIème siècle, évêque d'Exmes (Ornes), le pagus Oximensis (comté d'Hiémois (voir le site) dont les limites restent aujourd'hui incertaines), où se trouvait une forte communauté bretonne. On trouve aussi un Litharedus, évêque des Osismes, au concile d'Orléans en 511.

Plus tard, saint Eloi et saint Ouen, (blanc/gwen en breton), furent très proches des Bretons au point que saint Eloi se déplace en Bretagne armorique pour convier leur roi Judicaël à Creil ou Clichy, en vue d'un accord avec Dagobert.

Des Armoricains pour défendre la Gaule romaine et l'évangéliser

La présence de Bretons dans cette région, avant les Francs, n'a rien d'étonnant. On a tort de les confiner à la Bretagne armorique. En réalité, après avoir accepté le joug romain, ils n'ont cessé de se battre, dès les premiers siècles, pour défendre l'Empire contre les Saxons, Angles, Huns, Alains, Germains, Francs et autres barbares jusqu'au temps de Clovis . Le De Excidio Britanniae, «la ruine de la Grande-Bretagne», du Breton Gildas de Rhuys est une lamentation sur la fin de la civilisation romaine. Les Bretons ont été nombreux aux Champs Décumates , sur le Rhin et le Danube, où leur nom est gravé dans les toponymes, de même qu'en « Picardie » et en « Normandie » qui les virent passer puis s'installer à demeure. Partisans de l'Empire finissant, ils vinrent sur le continent défendre les côtes et les limes contre les barbares, saisir le pourpre ou s'installer paisiblement en Bretagne armorique (Létavie), sur la Loire et la Seine, au nord de la Gaule .

Voilà Constantin I, chef de l'armée de Grande Bretagne, proclamé en 306, qui le premier des empereurs romains, se convertit au christianisme. Magnence, d'un père breton, né à Amiens non loin des Britanni de Picardie, qui se proclame empereur en 349 et, depuis la Grande Bretagne, marche sur Rome. Maxime, empereur et usurpateur en 383, le Macsen Wledig gallois, qui s'établit à Trêves, où l'on vit, dans le même temps, l'évêque Britto. Quand à Ambrosius Aurélianus (Riothamus), parent de saint Pol Aurélien (de Léon), il aurait, selon Fleuriot, été « roi des Bretons et des Francs » avant 460, et repoussa les Francs sur la Somme. Les exploits d'Arthur, sont inspirés de ces hommes là et l'épisode d'un « Conan Mériadec », donnant la terre Bretagne armorique à ses soldats, après la défaite de Maxime, n'est plus si fumeux, de l'avis même de Fleuriot. L'Armorique de ce temps, le Tractus Armoricanus, c'était tout le nord-ouest de la Gaule !

Outre les soldats bretons, les clercs celtes ont été nombreux à débarquer sur le continent. Si Constantin le Grand, venu de Grande Bretagne et inspiré par elle, donna au christianisme un appui magistral, les clercs de Grande Bretagne, d'Irlande et de Bretagne armorique, évangélisèrent l'Europe jusqu'à Cologne, Trêves, Lérins et l'Italie. Dès lors, que des Bretons fussent nommés évêque un peu partout ne doit guère étonner.

Sainte Maxence : une légende curieuse

A Pont sainte Maxence , il y a une curieuse légende qui ne livre pas tous ses secrets mais témoigne d'antiques relations avec Albion et ses Bretons. Cette ville, à 10 km de Senlis, tiendrait son nom du martyr de sainte Maxence à la fin du Ve siècle. Maxence, fille de Malcolm, roi des Scots, fut convertie à la foi par Saint Patrice , apôtre d'Irlande. Elle se voua à la religion, mais fut promise à un prince barbare. Elle s'enfuit du palais et, parvenue au bord de la mer, aperçut un navire qui l'emmèna en Gaule. La princesse fut à la rivière de l'Oise. Cependant le Prince arriva et saisissant la princesse, il lui trancha la tête. La légende ajoute que le corps de la vierge se leva de terre et pris sa tête entre ses mains.

Dans cette légende nous voyons apparaître le nom de Maxence. Quant à l'épisode de la tête coupée, il rappelle le martyr de saint Denis, compagnon de saint Rieul, et ceux de saint Clair, saint Just et Lucien de Beauvais, tous décapités dans la région. On pense aussi à Gérontius, soldat breton de Maxime, le Geraint des légendes arthuriennes, coupant, après sa défaite et avant sa mort, la tête de sa femme; à Gurthiern (Vortigern, roi de Grande Bretagne), saint breton qui trancha la tête d'un parent, à sainte Ninnoc, proche de Vortigern, qui refusa de se marier à un roi scot (Ecossais/Irlandais), dut fuir en Gaule mais garda sa tête !

Un roi breton à Senlis !

Les recherches menées dans les archives de Senlis pointent un autre fait étonnant. Dom Morice, l'historien breton, a révélé que dans la collégiale de Saint Frambourg, à Senlis, se trouvent (vaient) les dépouilles de sainte Landouene (Lanwen ?) et de saint Eusèbe. Or ces deux personnages, cités dans la vie de saint Melaine, ont été, d'après ce manuscrit, roi (roi de Vannes) et reine de Bretagne armorique vers l'an 490 !, leur fille Aspasie ou sainte Pompée aurait épousée un certain Hoel I, frère de Rivoal ! Que font-ils à Senlis, voici un grand mystère? Un Eusébius fut évêque de Nantes vers 455.


Références :

Vie des saints du diocèse de Beauvais par Agathon Sabatier

Les origines de la Bretagne, Léon Fleuriot

Histoire de Bretagne, Dom Morice

La Bretagne des saints et des rois, Ve-Xe siècle, André Chédeville, Hubert Guillotel

Marc Patay Lejean


Vos commentaires :
Vendredi 3 mai 2024
Bravo le débat ! Une petite info :
Christian Kerboul, dans son beau livre sur les royaumes brittoniques il me semble, présente les migrants bretons en Armorique comme des pilgrim’fathers. Leur exode avait une motivation religieuse : échapper à la décadence ambiante décrite par Gildas et fonder dans une Armorique alors très dépeuplée des communautés plus conformes à leur idéal chrétien. Cela explique bien es choses…
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