De Lorient à l’Orient : une exposition au château de Blois

Reportage publié le 20/10/11 14:57 dans Cultures par Louis-Benoît Greffe pour Louis-Benoît Greffe
https://abp.bzh/thumbs/23/23563/23563_1.jpg
Entrée de l'exposition - le vestibule.
https://abp.bzh/thumbs/23/23563/23563_2.jpg
Palempore aux paons-coton peint et teint-Inde cote de Coromandel - Masulipatam - fin 18e-début 19e. Collection du musée de la Compagnie des Indes à Lorient.
https://abp.bzh/thumbs/23/23563/23563_3.jpg
Route dans le Bengale - estampe de Solvyns Balthazar (1793). Collection du Musée de la Compagnie des Indes à Lorient.
https://abp.bzh/thumbs/23/23563/23563_4.jpg
Mandarin en ivoire polychrome (h. 62 cm) - Canton (Chine) vers 1800. Bambou. Fils métalliques. Papier. Collection musée de la Compagnie des Indes à Lorient.
https://abp.bzh/thumbs/23/23563/23563_5.jpg
Bol a punch en porcelaine polychrome. Jingdezhen (Chine)1780-1785. Collection du Musée de la Compagnie des Indes à Lorient.

Du 13 octobre au 20 novembre 2011, en lien avec les Rendez-vous de l'Histoire 2011 qui avaient comme thème l'Orient (voir notre article), le château de Blois présente une exposition consacrée au rôle de la compagnie des Indes en France et à leur port le plus important, Lorient.

La Compagnie des Indes rendait proche le rêve oriental, « l'infini territoire des possibles », la terre si lointaine où foisonnaient épices, porcelaine et soieries. Peu en profitèrent, mais beaucoup y participèrent et une ville tout entière, Lorient (1) naquit et vécut du rêve d'Orient.

Au commencement du commerce avec l'Orient il y avait les Portugais. Ils passèrent le cap de Bojador en 1434, celui de Bonne Espérance en 1488 et atteignirent l'Inde en 1498. Le Portugal, première puissance maritime, avait la maîtrise des mers et des produits de l'Orient. Mais au XVIe, l'Espagne catholique s'empara de la couronne portugaise et interdit aux réformés l'accès des ports du Portugal, les poussant à créer de leurs côtés des compagnies des Indes, monopolistiques afin de conserver un certain contrôle des prix. C'est ainsi que les Provinces Unies et l'Angleterre eurent leurs propres compagnies. En 1664, Colbert, qui rêvait de voir le pays devenir une puissance maritime, créait la Compagnie des Indes, dont l’État détenait une grande part du capital.

Mais le réseau des ports et des marchands se méfiait de l'irruption de l’État dans l'économie (2). La Compagnie choisit donc la création d'un établissement central pour ses activités. En 1666, un enclos au fond du Blavet, protégé par l'île de Groix et la citadelle de Port-Louis, fut acheté pour y installer la cale de construction du Soleil d'Orient. Autour de ce premier chantier naquit une agglomération d'entrepôts et de cales de construction, développée avec les fonds dégagés par le financier John Law sous la Régence. En effet, celui-ci (voir le site) regroupe entre 1717 et 1719 toutes les compagnies au sein de la Compagnie Perpétuelle des Indes, qui dispose d'une souveraineté de fait sur le port de Lorient, tout cela pour garantir les avoirs de la Banque Générale, qui prête l'argent au Royaume et prend en charge sa dette. La spéculation a poussé le système à l'effondrement en 1720, mais la dette globale de la France a été largement assainie (3). En 1732, le contrôleur général Orry concentre à Lorient toutes les activités de la Compagnie, dans une ville qui atteint 20.000 habitants à la fin du XVIIIe, et qui vit au rythme des escadres qui partent avec leur flot de rêveurs, et qui rentrent, chargées des richesses inestimables de l'Orient.

La chute de l'empire Moghol en Inde, la perte de l'empire colonial français en 1763 par le Traité de Paris (4) et les pressions des armateurs sonnent le glas de la Compagnie, « suspendue » en 1769. Une dernière renaissance a lieu dans les années 1780 : le 3 juin 1785, à l'initiative du ministre Calonne, de Guillaume Sabatier et de son associé Pierre Desprez est créée une Compagnie des Indes orientales et de la Chine. Dotée d'un capital de vingt millions de livres, cette société détient le privilège du commerce au-delà du cap de Bonne-Espérance, mais n'a pas de pouvoirs civils et militaires et ne peut utiliser les infrastructures de la précédente compagnie. Elle s'installe donc à Caudan. La Révolution détruit cette dernière compagnie, qu'elle soupçonne d'activités contre-révolutionnaires (voir le site) et sa liquidation est prononcée en 1795. (5)

De la compagnie des Indes nous restent une ville, reconvertie dans les chantiers navals et les activités liées à la Marine Nationale, seule grande ville de Bretagne qui n'ait pas formé un Pays autour d'elle (6), et tous les objets rapportés d'Orient qui ne manquèrent pas d'inspirer en France la mode des « chinoiseries » dans la deuxième moitié du XVIIIe, mode qui s'étendit des châteaux les plus riches, comme Valençay dont les intérieurs ont été sauvegardés, aux demeures des hobereaux de campagne comme La Chabotterie, en Vendée . Les objets présentés proviennent du Musée de la Compagnie des Indes, à Lorient.


L'exposition se trouve au premier étage, à droite, de l'aile Mansart du Château de Blois, et s'organise en trois salles, comme suit :

- Le vestibule est consacré à une synthèse sur les échanges mondiaux du XVIIe au XIXe et est occupé par l'imposante maquette du Comte d'Artois, vaisseau construit en 1759.

- La première salle est dédiée aux Compagnies françaises des Indes et à la ville de Lorient. L'on y trouve la maquette du premier bateau construit à Lorient, le Soleil d'Orient. Il y a aussi des actes du port de Lorient et une petite exposition numismatique qui présente les principales monnaies utilisées dans le commerce d'Orient. La fièvre de l'or qui a probablement causé le saccage du trésor d'Auray (voir notre article) a malheureusement empêché les organisateurs de l'exposition de prendre le risque d'exposer les lingots tirés de l'épave du Prince de Conti naufragé à Belle-Île le 3 décembre 1746.

- La deuxième salle présente l'épopée des marins en route vers l'Orient : y sont exposés les cartes de navigations, des atlas, la maquette des niveaux du Comte d'Artois, ce qui permet d'apprécier la contenance et l'organisation intérieure des bateaux de la compagnie.

- La troisième salle évoque le rêve d'Orient par la présentation de nombreux objets tirés des collections du musée de la Compagnie des Indes de la ville de Lorient et montrés pour la première fois au public : porcelaines, tapisseries, boîtes à épices ou statuettes polychromes, tous objets fabriqués en Orient et rapportés dans les bateaux de la compagnie. (Cliquer sur les photos).


Louis Bouveron


Notes et remerciements

(1) Lorient dont le nom breton est précisément l'Orient : An Oriant.

(2) Saint-Malo et Paimboeuf furent, entre autres, des ports où la Compagnie des Indes était présente. À Paimboeuf, la chapelle Saint-Charles, le plus ancien monument de la ville, fut construite suite à un don de la Compagnie (voir notre article)

(3) La vulgate historique aura retenu l'expression de la «banqueroute de Law», présentée par ses détracteurs comme une catastrophe. Il se trouve que les études historiques ont montré que cette banqueroute a appauvri les riches et enrichi les pauvres, tout en faisant prendre en charge la dette de l’État par les épargnants, bref, elle a redistribué les richesses. La Compagnie, comme l’État, ont survécu à l'effondrement du système Law, notamment grâce aux efforts que fit le financier d'origine écossaise et à ceux des frères Pâris. L’État devait en effet se charger des dettes de la Compagnie, il put refuser 1.500 millions de livres de dettes causées par les actionnaires plus riches, engagés à fond dans la spéculation sur les titres de la compagnie.

(4) Les «Isles» pourtant vitales pour l'économie française ne comptaient pour rien face aux possessions européennes de la France : le sacrifice du premier empire colonial permit de sauver le «pré carré de la France en Europe». Dans l'ensemble, ce fut un traité désastreux pour la présence de la France dans le monde et il conforta la suprématie de l'Angleterre sur les mers et le commerce.

(5) La liquidation de la Compagnie des Indes devint une querelle juridique sur fond de scandale de corruption. Le litige ne fut soldé qu'en 1875. Cette liquidation permet d'appréhender aujourd'hui quels furent les intérêts présents derrière les événements révolutionnaires et les divisions au sein de l'exécutif républicain.

(6) Lorient est en effet dans le pays de Vannes ou Bro Wened, en limite de la Cornouaille.

Nous remercions particulièrement pour son aide précieuse et sa disponibilité Mme Danielle Escher du service communication du Château de Blois.


Vos commentaires :
Caroline Le Douarin
Vendredi 15 novembre 2024
«De nombreux objets tirés des collections du musée de la Compagnie des Indes de la ville de Lorient et montrés pour la première fois au public».

Lorient a imaginé et conçu de A à Z une exposition à exporter, dit le site du musée, Voir le site présentant cette exposition qui serait donc «itinérante».

Alors à quand cette exposition chez nous ? Au château des ducs de Bretagne, par exemple ?

De plus sa visite et le cadrage dans l'Histoire par l'auteur nous la rendent vraiment attrayante.


Anti-spam : Combien font 0 multiplié par 1 ?