Cornouailles. De l'autre côté de la mer bretonne. Une langue celtique très proche du breton, le cornouaillais ou cornique, connaît un renouveau inespéré depuis quelques décennies grâce au travail d'une poignée de militants. En 2009, pour occuper le secteur des écoles maternelles, fut fondé Movyans Skolyow Meythrin, 20 ans après la disparition des fameuses Dalleth, les écoles bilingues cornique-anglais.
Surprise à notre prise de contact avec MSM (Movyans Skolyow Meythrin), la responsable est une... Bourguignone, ayant fait souche en Cornouailles avec son compagnon le Gallois polyglotte Rhisiart Tal-e-Bot. L'ABP n'a pas résisté à la tentation de vous faire mieux connaître une initiative pour sauvegarder une langue qui partage 80 % de son vocabulaire avec le breton.
ABP : Pouvez vous présenter MSM en quelques mots ?
Émilie Champliaud : Movyans Skolyow Meythrin est le mouvement des écoles maternelles bilingues en cornique et anglais. Il a été fondé en Avril 2009 par un groupe de parents et est géré par eux. Il a pour but d'initier les enfants entre 2 et 5 ans à la langue cornique dans un environnement bilingue (anglais-cornique). Mais le but est aussi d'enseigner le cornique aux parents afin qu'ils puissent continuer à parler la langue cornique de retour à la maison. C'est pour cela que les parents et les enfants apprennent ensemble.
Les enfants apprennent le cornique de la vie quotidienne - ils cuisinent, jardinent, jouent, rangent, lisent, dansent, jouent de la musique etc. en cornique - mais pas seulement. Leur instituteur ainsi que les bénévoles qui viennent lui prêter main-forte les initient aussi à la culture cornique dans tous les sens du terme – festivals, danse folklorique, poésie, musique, théâtre, cuisine traditionnelle, histoire, etc.
Le but est d'introduire le cornique et la culture cornique auprès des jeunes enfants afin qu'ils puissent les intégrer à leur patrimoine culturel et à leur mémoire collective et qu'ils continuent de parler le cornique une fois adulte. Ils sont l'avenir de la langue et de la culture.
Bien sûr, les intérêts des enfants sont notre priorité et nous pensons fermement qu'être bilingue est un atout majeur dans la vie et dans la société dans laquelle ils évoluent. D'abord nous inscrivons notre stratégie pédagogique dans une logique de développement holistique et de respect ; respect de soi, des autres, de son environnement. Et puis nous mettons l'accent sur les bénéfices du bilinguisme qui sont nombreux. Entre autres, des recherches ont prouvé que les enfants bilingues ont plus de facilité à l'école tant pour apprendre à lire et à écrire que pour apprendre à compter. Il semble qu'ils réussirent mieux lors de toute leur scolarisation et qu'ils aient aussi plus de chances de faire des études supérieures. Il semble aussi que le fait d'être bilingue fasse partie d'une bonne hygiène de vie qui puisse retarder et même évincer certaines maladies cérébrales !
À long terme, MSM aimerait voir s'ouvrir des écoles maternelles bilingues dans toute la Cornouailles pour donner la chance au plus grand nombre d'enfants possible de devenir bilingue et de développer un sentiment fort d'appartenance à la Cornouailles.
ABP : Quels liens avec les Dalleth d'autrefois ?
Émilie Champliaud : Nous nous sommes inspirés de ce qui a été fait par le Dalleth et nous sommes en contact avec ses fondateurs. Mais nous voulons aussi innover, voir plus loin, et moderniser un peu l'approche de l'éducation en école maternelle. Nous nous sommes également beaucoup inspirés des modèles manxois et gallois et bien sȗr nous espérons pouvoir coopérer avec le modèle breton très prochainement. Et puis nous avons la chance d'avoir le Partenariat pour la Langue Cornique (Cornish Language Partnership) qui nous aide dans bien des domaines et dont Dalleth n'a pas bénéficié parce que le partenariat n'existait pas alors.
Le défi que Dalleth a rencontré - et que nous rencontrons aussi – est de promouvoir la langue mais aussi le bilinguisme, en attirant les familles avec de jeunes enfants. Peu de familles voient l'intérêt d'apprendre une autre langue - et encore moins le cornique - à un si jeune âge. Il y a tout un travail de communication et d'information à faire pour faire comprendre aux gens que le cornique et le bilinguisme font partie de l'avenir de leurs enfants et qu'il sont bénéfiques pour eux. Mais je suppose que c'est un problème commun aux langues dites minoritaires.
ABP : Quel est l'état de la langue en Cornouailles ? Au niveau des jeunes notamment.
Émilie Champliaud : Il semble que 6.000 personnes parlent le cornique dans le monde entier, pas seulement en Cornouailles donc. Le nombre descend à 300 quand on considère ceux qui parlent la langue de façon courante. Mais encore une fois les chiffres sont très approximatifs car il est difficile de répertorier les personnes qui parlent le cornique et leur niveau.
Encore faut-il s'entendre sur la définition de jeune. Jusqu'à 35 ans ou avant ? A ma connaissance, très peu d'adolescents parlent le cornique, soit parce que leurs parents - qui le parlaient - ne le leur ont pas transmis, soit parce qu'ils le parlent mais ne le pratiquent pas du fait du manque d'activités qui leur sont destinées. Cependant, le Partenariat pour la Langue Cornique et d'autres organisations y travaillent. Je ne connais que quelques adolescents qui parlent le cornique et je connais quelques jeunes adultes qui sont bilingues mais je ne sais pas à quel point ils l'utilisent et/ou l'intègrent dans leur quotidien.
Ce n'est pas vraiment mon domaine parce qu'avec MSM je m'occupe plus du niveau préscolaire de 2 à 5 ans. Mais c'est une question intéressante parce qu'inévitablement les enfants à qui nous enseignons le cornique vont devenir des adolescents, puis de jeunes adultes et il faudra bien créer un espace où ils puissent continuer à parler la langue. Le fait que cela n'existe pas m'inquiète un peu pour mes propres enfants. Ils apprennent et parlent le cornique maintenant mais y aura-t-il une suite ? Auront-ils envie de le parler une fois adolescents et de le transmettre à leurs enfants ? Ce sera peut-être à eux de créer les opportunités de parler, s'amuser, exercer leurs hobbies etc. en cornique mais je pense qu'il faudra que nous les y aidions aussi et c'est maintenant que nous devons nous y mettre.
ABP : Quid de la conscience nationale cornique ?
Émilie Champliaud : À mon avis, il y a définitivement une conscience nationale cornique, autrement il n'y aurait pas tous les groupes, mouvements, associations et organisations qui existent aujourd'hui pour promouvoir l'histoire, la culture la langue etc. de la Cornouailles. Mais il est aussi évident que certaines personnes se sentent corniques mais aussi britanniques et même anglaises jusqu'à un certain point. La conscience nationale cornique diffère en ce sens à mon avis de ce que l'on trouve au Pays de Galles où une personne qui se dit galloise ne se dira en aucun cas britannique et/ou anglaise aussi.
ABP : Avez-vous des liens avec le mouvement nationaliste cornique ?
Émilie Champliaud : Si vous entendez par là le parti politique Mebyon Kernow,les seuls liens que nous avons avec lui sont à travers nos deux professeurs qui enseignent au sein de l'école maternelle fondée par MSM et qui sont respectivement membre et conseiller au sein du parti. Mais cela s'arrête là. Nous ne recevons ni subvention de leur part ni aide quelle qu'elle soit. Nous avons des liens plus ou moins forts avec des mouvements apolitiques comme le Gorseth, Agan Tavas, Kowethas an Yeth Kernewek entre autres.
ABP : Quels sont vos besoins à MSM ?
Émilie Champliaud : Du matériel d'actualité et des ressources en tout genre. Nous avons un besoin énorme de créer du matériel qui soit attractif pour les enfants et les parents. Des cartes type flash cards colorées, des livres modernes, des posters, des cd de musique adaptée aux enfants d'école maternelle etc. Et puis bien sûr nous avons besoin pour ouvrir une école hebdomadaire de personnel qualifié et bilingue ou désireux d'apprendre la langue à un niveau avancé. C'est tout-à-fait faisable mais cela prend du temps !
■C'est ce travail qui est très très insuffisant en Bretagne, du fait que le sytème scolaire est «parisien» et non «breton», et que la langue bretonne est considéré, par ce système, comme devant rester dans la marge, et ne pas faire concurrence à la langue française. (Ce n'est pas vrai seulement de la langue, mais par exemple aussi de l'histoire et de la musique.)
L'augmentation du nombre d'élèves dans les classes bilingues tourne autour de 5%. Il devrait tourner entre 10 et 15%. (Comme le taux de croissance en Chine !)
Si le travail de «communication» et d' «information» était correctement fait, ce chiffre serait facilement atteint, voir dépassé.
Hervezoc'h, dav e vefe d'an den ober al labour-se war an dachenn da gentañ tout pe dre ar mediaoù?
Selon vous, ce travail devrait-il être ciblé en priorité sur le terrain (autour des familles) ou sur les médias?
Dedennet e vefen o c'hleved hoc'h ali. Trugarez.
Je serais intéressé de connaître votre avis. Merci.