Le Festival des Nuits Salines fêtait, cette année, ses vingt ans d'existence !
Après la « symphonique » et fort brillante prestation du Bagad de Saint-Nazaire, l'enthousiasmant et généreux groupe Soldat Louis, qui ont séduit, et catalysé, le vendredi, les très nombreux spectateurs venus sur le site du festival, un autre artiste essentiel, au regard de porcelaine et à la voix ardente, porte-parole incontournable de la culture bretonne et, plus largement celtique, célébrait, le samedi, sur la grande scène du Petit Bois, le quarantième anniversaire d'une carrière fertile.
Gilles Servat revenait, ce soir, au pays de son enfance, en ces terres et mer de Loire-Atlantique, et plus particulièrement en presqu'île guérandaise dont il a su si bien chanter l'esthétisme de ses marais salants au « manteau d'Arlequin », ou sa Côte Sauvage et « ses clairs sabliers ».
Il est 20 heures trente, sous un orange soleil rasant et, franchement aveuglant, l'artiste et ses musiciens se présentent face à un public dense qui s'est sagement agglutiné devant la scène. Nous reconnaissons, immédiatement, les fidèles : Nicolas Quemener, à la guitare et au chant, Hilaire Rama, à la basse et Yannig Noguet à l'accordéon diatonique.
En toute décontraction le chanteur s'adresse à la foule, narre d'entrée, avec humour et nostalgie, quelques anecdotes concernant ses chaleureuses vacances passées chez sa grand-mère résidant au Croisic qui « de son balcon allumé de bouquets, regardait les quais ».
Gilles Servat a troqué, momentanément, la guitare contre un bodhran, fait assez rare. L'instrument viendra étoffer de son rythme cotonneux et profond des arrangements musicaux, déjà bien élaborés.
Tout au long du concert, Gilles ponctuera son tour de chant avec le même fil conducteur : l'hommage à cette région allant de Pornichet, Batz-sur-Mer, au Croisic, en passant par Le Pouliguen. Sur cette thématique, il nous offrira un fort beau florilège des chansons phares qui jalonnent sa prolifique carrière.
C'est par une idée forte qu'il aborde son spectacle avec le célèbre titre « Comme je voudrai », bientôt suivi par la prise de conscience linguistique que revêt « Le pays ». On quitte, en effet, souvent par obligation, une région ou un pays, et pris dans l'engrenage infernal de l'existence, on néglige, voire on oublie, parfois, sa langue maternelle. Mais, à un moment de notre vie, notre passé originel nous rattrape puisque l'on garde éternellement en soi, bien enfoui au plus profond de son être, l'amour de sa terre et de ses racines culturelles. Nous sommes d'emblée, touchés par l'extrême justesse de ses paroles. La guitare sèche et l'accordéon diatonique ajoutent à la mélancolie des mots de l'artiste qui sait, aussi, au-delà de son apparente rudesse, être tendre.
Si Servat véhicule, depuis des décennies, une solide réputation de militant avec son « franc parler », Gilles est, surtout, un auteur doté d'une authentique sensibilité.
Ne dit-il pas dans l'une de ses dernières interview :
« Je ne chante pas que des textes militants… je cherche, à partir des choses qui m'environnent, à créer des chansons universelles… » (Ouest France des 23 et 24 juillet 2011).
Gilles nous le prouvera, d'ailleurs, en poursuivant son récital sur le registre de l'amour paternel avec « Bleuenn », texte aux messages affectueux écrits pour sa fille quand elle n'avait que sept ans et sur laquelle il porte aujourd'hui le regard d'un père empreint de mélancolie mais aussi d'inquiétude, en voyant grandir l'enfant devenue une adolescente vulnérable emportée dans le tourbillon d'un monde futile et virtuel que l'on propose à outrance à la jeunesse actuelle.
Après ce constat, de cette voix profonde qui fait notre admiration, il aborde un autre thème cher à son coeur, la crainte de voir disparaître l'être aimé : « Si tu t'en vas », resplendissante ode dédiée à sa compagne figurant dans l'un de ses opus les plus aboutis : « De cuivre et d'eau ».
Le soleil éblouissant, au début du spectacle, disparaît peu à peu. Un vent frais s'installe, les éclairages dorés et cardinaux de la scène, viennent caresser le pourtour des visages des musiciens et du chanteur. Mais la fraîcheur qui nous enveloppe est vivifiante et semble stimuler, à la fois, et l'énergie des artistes et la vitalité des spectateurs. Cette brise naissante incite à prendre le large, hisser les voiles, larguer les amarres vers d'autres horizons, vers un nouvel album, « Ailes des îles », une invitation au voyage vers les îles dans le sillage des oiseaux.
Nous allons découvrir, en avant-première, l'un des titres de ce futur album qui devrait paraître vers le 20 octobre : « C'est mon gars », confidences d'un père à son fils. Puis Servat nous gratifiera, une fois encore, d'un moment intense avec « Hiérarchie », réflexion très profonde, et très actuelle, sur la relativité de l'homme face à l'univers. En effet, que représente l'homme à l'échelle de notre planète… peu de chose, mais son insatiable vanité l'amène à croire tout le contraire.
Comme toujours, le charismatique artiste breton sait aussi entraîner joyeusement son public en l'incitant à frapper dans les mains au cours du refrain de « The wild rover ».
Petite pause altruiste, Gilles invite son guitariste Nicolas Quemener à chanter, en anglais, une version personnelle de « Au bord du Lac de Pontchartrain » alors que Yannig Noguet jouera un Laridé 6 temps.
Puis, reprenant son tour, Gilles, reviendra, une nouvelle fois, au travers d'une anecdote vécue, sur son enfance en pays de Guérande :
« Un jour, lorsque l'on campait, devant notre tente une dame qui passait avec ses enfants nous demande : savez-vous comment aller à BatSSS sur Mer ?
On s'est regardé et c'est ma mère qui a eu une illumination : ah, ça doit être le Bourg de Bâââ! ». C'est dire toute l'importance à l'époque, de la prononciation.
Retour à la musique. Il s'avère, à cet instant, impossible de ne pas fredonner avec lui « La maison d'Irlande » qui nous transporte dans ce beau pays celtique et nous fait regretter de n'avoir pas connu cette maison aujourd'hui vendue et dont les souvenirs figurent « au cimetière des photos ».
Qui oserait écrire que Servat manque d'humour et de malice ? Il nous prouve, justement, ô combien, le contraire, avec une chanson qu'il définit, lui-même comme un conte de fées sarcaustique : « Le nain charmant ». Nous n'en dirons pas plus sur le fond… à vous de découvrir !…
Pour la forme : tous en choeur, vous reprenez “Simplet”, puis, après « Timide » et « Dormeur » du refrain, vous claquez deux fois dans les mains et vous criez avec lui : ja-mais !… à travailler pour les prochains concerts.
L'ambiance est à son comble alors qu'il entonne son inoxydable succès, « La Blanche hermine », resituant utilement les frontières historiques et revendiquées de la Bretagne… Vive Fougères et Clisson !
« Bon, si je viens ici et que je ne chante pas celle que je vais chanter, maintenant... »
Enfin, le voici ce célèbre « Moulin de Guérande », titre de l'étape, très attendu, emblématique édifice dont les ailes surplombent les marais salants sentant bon l'iode chaude !
Puis il clame :
« Je crois qu'il y a une table installée au bas de la scène, s'il y en a qui veulent « des CD » !
Gilles s'amuse en se rendant compte du rendu phonétique aux accents morbides des mots qui constituent la phrase, mais : « Désolé, mais c'est la langue française ! »
Il poursuit : « un bon festival ne saurait exister sans l'implication de ses bénévoles qui y sont pour beaucoup dans la réussite de ces festivités estivales ».
Le tour de chant s'achèvera donc par une chanson dédicace adressée à tous ces dockers de la scène et forçats de la restauration.
Nous garderons un excellent souvenir de l'élégant et pertinent passage de Gilles Servat aux Nuits Salines de Batz-sur-Mer, qui a su conquérir, une fois encore, le public grâce à sa verve coutumière, sa proximité, sa parfaite maîtrise de la scène et la qualité constante de ses lyriques compositions qui touchent nos âmes et consciences.
Texte : Evelyne Pernel et Anny Maurussane
Photos : Gérard Simon
■Une furieuse envie de vivre, plus tôt..
Ca a du chien ?
Non???
Koc'h ki gwenn ha koc'h ki du