Clarisse Lavanant, retour aux sources

Interview publié le 15/06/11 9:52 dans Cultures par F. Lécuyer pour F. Lécuyer
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Clarisse a un parcours pour le moins étonnant. Des superproductions de Pascal Obispo à la tournée des chapelles bretonnes a cappella, des textes calibrés pour les radios aux poèmes enflammés de Glenmor, cette Morlaisienne n'a pas cédé aux sirènes de Paris en y oubliant sa Bretagne. Au contraire celle-ci, avec un talent certain, rend hommage à la Bretagne rebelle et authentique, poète et insoumise. Heureusement car Glenmor n'avait-il pas prévenu : «Elles sont jolies les filles de nos campagnes / que Paris voit venir si tôt matin / elles ne pleurent pas encore / leur lointaine Bretagne / elles ont le rire d'enfant / Paris les fait putains / et ceux-là qui traînent le rire au coeur de la nuit / en vivant de l'argent que la Bretonne a gagné / ont face honorable et sont gens bien assis / Sodome rime leur nom on les fait députés» (Sodome).


ABP - Bonjour Clarisse Lavanant, pouvez vous vous présenter ?

Clarisse Lavanant - Bonjour ! Je suis une jeune auteur-compositeur-interprète originaire de Morlaix, où je vis aujourd'hui. Mon premier album «Où c'est Ailleurs ?» est sorti en 2001, cela fait donc dix ans que j'ai commencé «officiellement» !


ABP - ABP - Vous avez un parcours étonnant. Des albums de composition, des chansons pour enfant, les 10 commandements, deux albums d'hommage à Glenmor, qu'est ce qui détermine ces chemins tortueux ?

Clarisse Lavanant - En effet, peu après la sortie de mon premier album et une tournée des Zéniths en première partie de Tri Yann, j'ai intégré la troupe des «Dix Commandements» (Pascal Obispo - Élie Chouraqui) pour interpréter le rôle de la femme de Moïse, Séphora, au Palais des Sports de Paris pendant plusieurs mois et en tournée dans toute la France, Belgique, Suisse, Québec puis jusqu'au Japon et en Corée du Sud. Entre-temps, j'ai fait la rencontre de Dan Ar Braz à qui j'ai confié l'envie musicale de vouloir me rapprocher de mes racines, je lui ai laissé un texte que j'avais écrit quand j'étais à l'autre bout du monde intitulé «La fin de la terre» (en hommage à «mon» regretté Finistère !) et tout est parti de là. Dan a quasiment tout composé et intégralement réalisé mon second album «Vers l'Imaginaire» qui est sorti en 2005. Cette année correspond aussi à mon «retour» en Bretagne. Ces chemins ne sont donc pas si tortueux car c'est c'est en faisant partie d'un spectacle a priori loin de moi («Les Dix Commandements») puisque j'avais très peu vu de comédies musicales, et en allant chanter sur d'autres terres, que le besoin de revenir sur la mienne est devenu nécessaire et c'est ainsi que je me suis (re)trouvée, personnellement et artistiquement. J'ai tout naturellement enchaîné avec un 3e album «Les filles comme moi» entièrement auto-réalisé que j'ai présenté dans plus d'une centaine de chapelles bretonnes (qui m'ont permis de mieux découvrir mon pays !) et qui plus est a cappella car après les euphorisants shows avec une quarantaine d'artistes sur scène, retrouver une forme d'épure quasi totale a aussi fait partie de ce retour aux sources. Ensuite il y a eu les albums pour enfants, le premier réalisé à nouveau avec Dan à partir des comptines celtiques ou «celtisées» et le second que j'ai entièrement écrit à partir des comptines du monde entier cette fois, car j'avais envie de poursuivre le voyage encore plus loin ! En fait le point de départ est toujours l'envie et puis aussi et surtout les rencontres. C'est donc également une rencontre qui m'a menée vers l'oeuvre de Glenmor, grâce à un ami commun, j'ai fait la connaissance en 2008 de Fañch Bernard, musicien et compagnon de route de Glenmor durant une dizaine d'années et c'est avec lui que j'ai chanté Glenmor sur scène pour la première fois.


ABP - Deux albums hommages à Glenmor, pourquoi ? Que retirez-vous de la rencontre avec l'oeuvre de Glenmor ?

Clarisse Lavanant - D'un point de vue personnel, c'est parce que j'ai découvert Glenmor quand j'étais adolescente avec sa chanson «Le retour» que je me souviens avoir apprise par coeur tant elle m'avait touchée (j'étais à Paris à ce moment-là) mais c'est bien plus tard, suite à ma rencontre avec Fañch, que j'oserai l'interpréter en public puis sur disque (dans «Glenmor mémoire vivante», qui est le premier volume que j'ai consacré à Glenmor et qui a reçu le Coup de Coeur de l'Académie Charles Cros l'an dernier). J'ai aussi eu envie de reprendre les chansons de Glenmor parce que d'une part j'ai découvert de véritables trésors de poésie ainsi que de très belles mélodies – il n'était peut-être pas un musicien très rigoureux, c'est d'ailleurs «harmoniquement» parlant que nous avons eu le plus de travail avant l'enregistrement car il fallait essayer de «recadrer» les chansons musicalement sans perdre ce qui fait aussi leur charme, mais s'il est souvent et à juste titre reconnu pour ses textes, c'était également un grand «mélodiste» ! En réécoutant toute sa discographie, j'ai été surprise que ses chansons ne soient pas si connues que cela finalement alors qu'elles sont portées par une écriture riche et rare (à la fois terrienne de par des origines paysannes et littéraire de par son instruction notamment philosophique) et véhiculent avant tout des sentiments tout-à-fait intemporels, comme l'attachement à une terre, l'amitié (très présente dans ses chansons), la tendresse et la sensibilité (autant de sentiments qu'on ne soupçonnerait pas forcément chez Glenmor mais qui sont pourtant bien là et que j'ai particulièrement souhaité mettre en valeur) sans doute parce que l'on connaît plus le personnage (qui avait de multiples visages) que l'oeuvre. D'autre part, chanter Glenmor aujourd'hui tout en donnant, sans les trahir, une autre lecture à ses chansons (ce qui était aussi l'intérêt de les reprendre) permet en même temps de faire reparler de lui, disparu il y a tout juste 15 ans cette année et qui aurait eu 80 ans en juin prochain, et de remettre en lumière tout ce qu'il a mené : Pour moi il est le père de la Bretagne actuelle car c'est lui qui a redonné une fierté toute légitime aux Bretons, honteux de leur identité depuis des lustres. En oeuvrant pour l'identité bretonne (il a d'ailleurs été le premier), je considère qu'il a oeuvré pour toutes les identités car son combat principal étant celui du centralisme, toutes les régions soucieuses du respect de leur culture peuvent se reconnaître à travers son message. C'est d'ailleurs un combat qui reste d'actualité et tout cela montre que s'intéresser à l'oeuvre de Glenmor est loin d'être une démarche passéiste, bien au contraire. Dans mon propre parcours, il est clair qu'il y aura eu un «avant Glenmor» et un «après», déjà parce que grâce à lui j'ai commencé à chanter en breton et donc à apprendre la langue, ce qui me ramène à quelque chose de très profond, forcément lié à l'affectif. Je trouve cette langue extrêmement chantante, poétique, riche et je n'imagine vraiment pas la suite sans elle ! Ensuite pour ce qui est de l'écriture, j'ai l'envie d'aller vers quelque chose de plus incisif (tout en restant dans le domaine de la poésie et de l'émotion) et dans le second volume à nouveau dédié aux chansons de Glenmor qui vient de paraître sous le titre de «Je te souviens Glenmor», j'ai signé un texte (sur un traditionnel celtique) pour Nantes et tout le Pays Nantais où j'imagine que la Bretagne serait une femme et qu'elle chanterait «J'avais cinq enfants». C'est un sujet qui me tient évidemment très à coeur et c'est d'ailleurs aussi Glenmor qui a été le premier (car c'était un pionnier !) à parler de réunification de la Bretagne, ce qui bien sûr était très choquant à l'époque. Terminer l'album par cette chanson est donc à la fois une reconnaissance (pour les combats d'hier) et une promesse pour l'avenir.


ABP - Vous reprenez également des chansons de Glenmor en langue bretonne. Parlez-vous breton ?

Clarisse Lavanant - Je ne parle pas breton pour le moment (cette langue ne m'a malheureusement pas été transmise de naissance et l'un de mes plus grands regrets est de ne pas l'avoir apprise enfant. Je trouve d'ailleurs qu'une initiation au breton dans toutes les écoles de Bretagne devrait être au programme, non seulement pour empêcher le déclin de cette langue qui fait partie de tout breton même s'il n'en a pas conscience et ne la parle pas mais aussi parce que sachant qu'un enfant apprend vite et bien, il sera plus facilement doué pour toutes les autres langues par la suite...)

Ceci dit je suis en plein apprentissage et malgré les difficultés que l'on peut rencontrer au départ (notamment les mutations, liaisons et structures de phrases très différentes du français) c'est très motivant parce que c'est à la fois la langue de mes ancêtres et la langue que j'ai choisie. Je travaille toute seule depuis plusieurs mois avec la méthode Assimil et à partir de chants bretons mais j'ai besoin de pratique alors je suivrai également des cours dès la rentrée prochaine. Maintenant que j'ai commencé à chanter en breton (grâce à Glenmor) mon but est de pouvoir converser avec des bretonnants mais aussi à plus long ou moyen terme d'écrire des chansons en breton.


ABP - Glenmor a composé une chanson culte le Kan Bale an ARB, que vous ne reprenez pas par contre...

Clarisse Lavanant - Effectivement je n'ai pas repris le «Kan Bale an ARB», déjà parce que je la trouve très «marquée» par Glenmor et que cette chanson, qui est d'ailleurs plus un «hymne», fait justement partie de celles que j'ai du mal à imaginer par quelqu'un d'autre (comme «Sodome» ou «Princes entendez bien» par exemple) et qui correspondent aussi plus à une époque que d'autres (même si je sais que les Ramoneurs de Menhirs en ont fait une adaptation «libre» et moderne.)

C'est aussi parce qu'il me semble que les gens ont surtout retenu le côté militant de Glenmor qui a été très marquant et même déterminant mais peut-être qu'il a été enfermé là-dedans et que le reste de son oeuvre est un peu passée au travers. Mon désir n'est pas du tout d'amoindrir ce militantisme mais de rappeler aux gens qu'il est aussi un grand poète (malheureusement pas ou peu étudié dans les collèges et lycées) qui a écrit une centaine de sublimes chansons et qu'il était même avant tout un humaniste, étant donné que ce n'est pas la violence qu'il prônait dans ses combats (il appelait même cela de la contre-violence !) mai se battait pour la défense et la reconnaissance de son peuple et de son pays.

Pour en revenir au «Kan Bale», j'ai quand-même failli enregistrer et appris le «Kan Bale Nevenoe» (repris également par Servat sur un live) mais comme il y avait déjà 20 chansons dans ce second volume, ce sera pour le troisième tome !

Parmi les chansons en breton les plus engagées de Glenmor, ce sont «O Keltia» et «E dibenn miz Gwengolo» que j'ai souhaité reprendre. Et peut-être celle que je trouve la plus dense d'entre toutes (parce qu'elle réunit à mon sens toutes les facettes de Glenmor, à savoir l'émotion, la colère, la nostalgie, l'espérance, la fougue, la tendresse, la rage et la spiritualité) c'est «Apocalypse» avec laquelle je termine tous mes concerts et où je me rends compte qu'elle s'adresse à tout le monde tant l'émotion est palpable, il n'y a pas une fois où les gens ne viennent pas me parler de cette chanson en me disant qu'elle les a pris aux tripes et qu'ils ont ressenti quelque chose de fort, et ce quel que soit le milieu d'où ils viennent. C'est bien la preuve que Glenmor est intemporel et universel.


ABP - La réunification de la Bretagne vous est chère, vous serez le 18 juin à Nantes peut-être...

Clarisse Lavanant - Le 18 juin, qui sera aussi le jour des 15 ans de la disparition de Glenmor, je serai à Rennes pour une émission en direct sur France Bleu Armorique afin de présenter ce nouvel album «Je te souviens Glenmor».

J'espère ensuite avoir le temps de passer par Nantes evel just !


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