Professeur à l'Université Strasbourg, détaché à l'Université de Lausanne (Faculté des Sciences sociales et politiques-ISSUL), Nicolas Bancel explique que c'est le discours de Grenoble, prononcé par Nicolas Sarkozy qui l'a poussé à écrire.
Cette conférence avait lieu ce vendredi 18 mars à la Maison des Sciences de l'Homme en Bretagne, à Rennes, programmée par le groupe ERMINE (Equipe de recherche sur les minorités nationales et les ethnicités) dirigé par Ronan le Coadic.
Radicalisation de la criminalisation de l'immigration
De la fermeture du droit d'asile à l'expulsion des Roms, on observe en France une radicalisation cumulative de la criminalisation juridique de l'immigration et du droit des étrangers, de même que la «chasse aux clandestins» a provoqué la brutalisation de toutes la procédure d'expulsion. Depuis 2002, pas moins de 25 lois dites «sécuritaires» ont été adoptées. Simultanément, la «question» de l'immigration est constamment revenue à l'agenda des questions publiques, mise en avant par le pouvoir. Tout est en place pour le discours de Grenoble : l'ennemi intérieur est désigné, réveillant les vieilles peurs ravivées régulièrement.
La déchéance de nationalité, une stigmatisation, symbolique plus qu'efficace
Tir à balles réelles à Grenoble sur la police : le chef de l'Etat se déplace et prononce un discours promettant de destituer les Français d'origine étrangère coupables de meurtres sur des «représentants de l'ordre public». Cette mesure volontairement extrême n'a aucune visée pratique mais construit - avant que ne soit connues les conditions d'application restrictives de la loi - les «Français d'origine étrangère» comme une catégorie méta-politique, intrinsèquement criminogène.
On a affaire ici à un «imaginaire de la purification» : il faut séparer les groupes. Se met alors en place une logique de «radicalisation cumulative» (appareil législatif, policier, préfectures,expulsions, centres, reconduites à la frontière, montée en radicalisation discursive ...) qui aboutit à une fuite en avant vers les extrêmes.
Les Roms, indésirables partout
La stigmatisation des Roms dans le discours de Grenoble (puis dans les opérations de police contre les camps, largement médiatisées), s'adosse à la même logique. Véritables «damnés de l'Europe», les Roms constituent un groupe cible traditionnel des pouvoirs politiques, mais en Europe occidentale, l'après Seconde Guerre mondiale avait semblé signer la fin de leur persécution systématique (les Roms avaient été décimés par les nazis). Le discours de Grenoble ouvre une nouvelle page de l'histoire de l'Europe occidentale en remettant au premier plan le «problème Rom» et en considérant ceux-ci comme de dangereux fauteurs de trouble.
L'indifférence organisée
Alors que le migrant portugais, italien, roumain s'était intégré sans bruit dans la société française au siècle dernier, devenant français, les Maghrébins de la deuxième, voire de la troisième génération, qui sont donc de nationalité française, symbolisent toujours la violence et la peur. Les reportages télé sont friands des rafles, des scénarios de violences urbaines. L'érection de «l'ennemi intérieur» est devenu depuis les années 1990 une ressource politique mise constamment à l'agenda politique par les élites.
Deux explications à ce processus implacable
Jérôme Valuy, dans son livre «Rejet des exilés», paru en 2009, explique que suite à la décolonisation, les postes clés des institutions s'occupant des politiques sécuritaires françaises sont occupés par une technocratie postcoloniale qui met en place dès 1966 les structures bureaucratiques avec leurs partenaires, l'OFPRA, l' HCR... Cette administration postcoloniale ressusciterait des représentations anciennes (conquête de l'Algérie en 1830) qui sont déjà ethnoracistes.
Nicolas Bancel préfère la cause politico-économique : la France de 2011 est fragilisée. Quatre millions de chômeurs, l'ascenseur social en panne, la spatialisation inouïe des inégalités sociales. Pour l'Etat, l'Europe, l'effacement des frontières, la dette, diminuent son champ d'intervention. Dans ce contexte, la perte de légitimité et de confiance, entraîne un recours à la thématique sécuritaire et identitariste au niveau européen. Le repli frileux est alors considéré comme un remède.
Un avenir sombre ou un réveil humaniste ?
Le discours de Grenoble, comme les plus récents, se fondent sur l'irréalité d'un monde qui n'est plus et qui n'est surtout pas celui dans lequel nous vivons : l'assimilation, idéal révolutionnaire jacobin a cédé la place à une société multiculturalisée, métissée.
Et ces discours, bien que dominants ces derniers temps en Europe, plus particulièrement en France, ne font que refléter un monde où les dirigeants sont en déphasage total par rapport à la réalité, un monde qu'ils ne comprennent déjà plus...
Pour connaître l'avis d'Edwy Plenel qui avait parlé de «délinquance constitutionnelle» lors du discours de Grenoble :
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