ABP - Comment t'est venue cette passion pour le haïku ?
MBdB- Ma découverte de l’univers du haïku a été assez tardive. Bien après l’appel de la poésie qui date des premières grandes lectures que furent pour moi, Alcool d’Apollinaire, les poèmes de Rimbaud et Verlaine, puis toute la période surréaliste dans laquelle je suis entré par « Clair de Terre » d’André Breton. A l’époque, j’étais en terminale, et je ne connaissais pas plus la poésie japonaise que la poésie bretonne.
C’est la curiosité que j’éprouvais pour les sagesses orientales, bouddhisme, confucianisme, taoïsme, quand j’avais une trentaine d’années, qui m’a conduit au hasard de mes lectures jusqu’aux haïku de Bashô. Et là j’ai été fasciné. Comment, avec si peu de mots, dans le plus grand dénuement, et sans recours à l’image (tournant ainsi le dos à la religion surréaliste…), un poème de trois vers pouvait avoir un tel retentissement, comme l’exprime si bien l’un de ses haïku :
La cloche s’est tue
Dans le soir le parfum des fleurs
En prolonge le tintement
J’étais aussi séduit par le fait que ce genre, vieux de plusieurs siècles, soit encore bien vivant au Japon et dans le monde entier, notamment en Bretagne, et qu’il soit beaucoup plus populaire qu’une certaine poésie d’avant-garde, laquelle est parfois magnifique, mais parfois désincarnée et esthétisante, et peu apte à parler au plus grand nombre. Enfin les genres courts me vont bien, par je ne sais quelle disposition d’esprit : pudeur ? laconisme ? goût pour la litote ? Et puis, le haïku suppose une intimité avec la nature, que je partage, et une note de fantaisie alerte et gaie qui réunit poésie et humour et qui me plait aussi beaucoup.
ABP- Après les conférences d'Alain Kervern, spécialiste du haïku, comment as-tu travaillé cette conférence, ne parlant pas japonais, mais ayant compilé de nombreuses informations, tant dans la littérature japonaise que dans la littérature française ?
MBdB- J’ai commencé à pratiquer moi-même (je choisis le mot à dessein, car il s’agit d’une forme d’attention au monde très particulière), avec bonheur, en même temps que je m’instruisais à la source de bons connaisseurs : Bashô lui-même, au travers de ses propos rapportés et interprétés par ses disciples (Le haïku selon Bashô), René Sieffert , dans les introductions denses et documentées dont il accompagne ses publications aux Presses Orientalistes de France et Alain Kervern, qui est à mon avis le meilleur pédagogue (je devrais dire « éveilleur ») sur le sujet en France. Et beaucoup d’autres encore, cités en annexe de texte de ma communication à Bannalec.
Je mûrissais depuis longtemps l’idée d’une communication sur le haïku, pour plusieurs raisons. La première est que je souhaitais élucider les raisons de mon attirance profonde pour le haïku. Celui qui ne sait pas enseigne, dit le Tao ! Non sans ironie… La seconde est que j’observais que la plupart des auteurs qui pratiquent le haïku aujourd’hui ne respectent ni sa forme (ce qui est pardonnable) ni son esprit (ce qui l’est moins !) et le plus souvent le dénaturent.
Je voulais donc à la fois mettre mes idées au clair, faire découvrir et aimer le haïku, et défendre un certain degré d’exigence, sans quoi il ne faut plus parler de haïku, mais de poème bref.
Pourquoi pas du reste, il en est d’excellents, mais qui ne sont pas des haïkus.
J’ajoute que mon approche n’est pas essentiellement celle d’un compilateur, mais d’abord celle d’un pratiquant qui s’interroge en avançant. Les thèmes développés dans la conférences sont des connaissances éprouvées autant qu’apprises, et c’est ce qui, je l’espère, lui donne un tour personnel.
ABP - En tant que président du jury de haiku, qu'as-tu pensé de la cuvée 2011 ?
MBdB- J'aime beaucoup ce concours, qui se tient dans le cadre d'un festival bien vivant autour de Quimperlé. Il est signe d'ouverture au monde et de goût pour la diversité des cultures. La remise des prix ce fait avec simplicité, dans une atmosphère conviviale et émouvante, grâce à la participation des enfants du conservatoire. Pour moi, la tenue du jury a aussi été l'occasion de faire la connaissance de Bernez Tangi, un poète en langue bretonne de grand talent, et de Maï-Ewen, haïkiste d'une grande délicatesse.
La cuvée 2011 est prometteuse. Comme d'habitude, en breton ou en français, les enfants démontrent une sorte d'aptitude naturelle au haïku, sauf dans le cas d'une classe dont l'instituteur ou l'institutrice n'aura probablement pas bien saisi l'esprit du haïku, ce qui a donc conduit ses élèves à faire un peu de hors piste.
Puissent de nombreuses écoles participer dans les années à venir, car c'est pour les enfants une expérience très vivante de la poésie, et pour les professeurs une occasion privilégiée de la faire aimer et pratiquer. Voici un haïku que je souhaiterais réhabiliter, car nous (membres du jury) ne l'avons pas retenu pensant que l'usage du mot « rossignol » était un « japonisme » un peu surfait. Renseignement pris, cet enfant vient d'une contrée où les rossignols sont très présents.
Le verger de l'école
Dans le vieux pommier malade
Le rossignol
Beaucoup de participants adultes en français, et un choix difficile pour le jury, ce qui est plutôt bon signe. D'une façon générale, le travail du jury est assez facilement consensuel et nous parvenons en deux heures à nous mettre d'accord dans les différentes catégories ouvertes au concours. L'histoire retiendra que l'on a eu un peu de mal à convaincre Bernez de retenir le haïku du « nain de jardin », car il leur voue une sainte horreur ! (on le comprend…)
Surveillant de près
Toutes les pommes tombées
Le nain de jardin.
(Patrick Druart, deuxième prix)
Bravo à la lauréate en langue bretonne, Milena Krebs, qui remporte le premier et le deuxième prix dans la catégorie adulte :
Avaloù an eskob
Dirak ar presbital
Didud.
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