Le livre d'Olivier Poivre d'Arvor : Bug made in France

Présentation de livre publié le 28/01/11 13:27 dans Cultures par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch
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Photo source: wikipedia

Bien qu'écrit au port de Sauzon à Belle Île, par un écrivain d'origine bretonne, Olivier Poivre d'Arvor, le frère de PPDA, l'ouvrage ne parle pas de Bretagne, ni de culture bretonne, mais du décès de la culture française, du moins de sa capacité à s'exporter et à rayonner.

Le livre a volontairement par dérision un titre en anglais « Bug made in France ». La machine France est bugguée. L'introduction en guise d'avertissement ou l'avertissement en guise d'introduction est écrit ironiquement à la façon wikipedia avec des ref souhaitée ou précision nécessaire. En exergue une phrase tirée d'un feuilleton américain « The land of the cheese-eating surrender monkeys has lost its status as a cultural superpower ». Le ton est donné. Il sera incisif et sans ménagement jusqu'au bout.

Histoire d'une capitulation culturelle

Le sous-titre annonce avec force l'Histoire d'une capitulation culturelle. Après la capitulation militaire de mai 1940, voilà la capitulation culturelle du XXIe siècle. La conquête culturelle du monde par les États-Unis a commencé dès 1947 avec l'invention des semi-conducteurs, le 23 décembre 1947, par les trois Américains John Bardeen, William Shockley et Walter Brattain. L'un d'entre eux trouva le soleil californien agréable et y lança une entreprise Shockley Semiconductor, la première d'une longue chaîne qui allait devenir la Silicon Valley. Avant l'internet il y eu le software, et avant le software il y a eu le hardware. Une invention peut devenir une industrie qui en crée une autre et une autre encore et créer des millions de jobs. Les Américains l'ont bien compris.

Qui sont ceux qui enterrent les autres ?

Alors que tout le monde parle de la Chine et que l'extrême gauche comme l'extrême droite française ont enterré définitivement les États-Unis et son économie mondialisée après la crise du capitalisme financier, OPDA parle, lui, du KO de la France face au géant culturel américain. Les États-Unis produisent 50 % de tous les produits culturels et d'informations mondiaux. Ils ont produit des outils qui sont devenus culturels eux-mêmes selon la fameuse prédiction de Marshall McLuhan dans les années 60 : The medium is the message, que l'on pourrait arrondir au XXIe siècle par «Le média est la culture».

OPDA écrit « Non seulement les États-Unis possèdent et maîtrisent les outils du hardware et du software mais ils contrôlent internet et ont inventé tous les nouveaux outils de la connaissance moderne : Google, Facebook, Wikipédia, Amazon, itunes, Yahoo, Youtube, Twitter ». On pourrait ajouter Wikileaks, le dernier en date, dont la puissance a déclenché une révolution en Tunisie.

Et OPDA de poursuivre que la véritable révolution culturelle – celle de l'accès, de la participation du public à l'édification du savoir – a été gagnée par le nouveau monde. L'auteur constate que « l'Europe et les nations qui la composent sont incapables de produire ou de penser des objets culturels européens forts ».

Le diagnostic

OPDA donne son diagnostic de docteur de la culture : « Parce que l'Amérique est plus intelligente, parce qu'elle est plus libre, créatrice, moins dirigiste, parce que sur ses campus, dans ses universités, puis dans leurs startups, qui deviendront parfois de grands groupes transnationaux quasi monopolistiques, des petits génies inventent le monde de demain, la oosphère à travers la culture d'aujourd'hui ». L'internet « est devenu le nouvel espace du savoir », constate de directeur de radio France Culture.

Le discours annuel de Barack Obama du 25 janvier dernier (voir le site) , dit state off the union, en dit long sur l'investissement des États-Unis dans ses enfants et son futur. Pendant une heure et sans notes, Barack Obama ne parle que des écoles, des professeurs et de leur rôle capital, de l'éducation, de la recherche de l'innovation et du rôle du gouvernement qui doit, avant tout, tout faire pour faciliter ces activités y compris la création d'entreprises. Par contre OPDA a oublié de mentionner le [[[Small Business Act]]], une loi cadre de 1953, composante essentielle du dynamisme entrepreneurial américain, qui favorise la survie des PME et la transformation de startups en entreprises viables.

Les rebelles contre les grands prêtres

Là où OPDA va faire mal aux grand prêtres de la culture française, c'est avec sa description d'une vieille «culture française sanctuaire» et «légitimiste» en passe de « muséification ». Il dénonce les cocoricos prétentieux et cite Mario Vargas Llosa : «La menace qui pèse sur Flaubert et Debussy ne vient pas des dinosaures de Jurassic Park mais de la bande de démagogues et de chauvinistes qui parlent de la culture française comme s'il s'agissait d'une momie qui ne peut être retirée de sa chambre parce que l'exposition à l'air frais la ferait se désintégrer».

Il oublie par contre de dire que cette culture a été instrumentalisée par l'État central pour devenir un instrument de domination, d'abord colonial, puis national. Il aurait dû citer Edgar Morin «La France c'est la francisation», pour bien montrer la perversion. Une culture instrumentalisée pour devenir aussi un instrument de pouvoir et de domination et une politique du rouleau compresseur des cultures minoritaires. Rappelons, car OPDA ne le fait pas, que les État-Unis n'ont pas de ministère de la Culture alors que la France a institutionnalisé et académisé – et donc figé – sa culture. Elle l'a mise sous sérum, c'est-à-dire sous subvention en pensant la protéger. À une époque où les caisses de l'État sont vides, la culture française est subventionnée par les générations futures, c'est ça l'exception culturelle française ! Paradoxalement, si la création culturelle en France est individuelle et provocatrice, le collectif est ce qui a fait la force des nouveaux produits culturels américains comme le blog, wikipedia et les réseaux sociaux.

Culture et liberté sont indissociables

La grande révolution, constate OPDA, est que le Français passe deux heures par jour devant son écran d'ordinateur aux dépens de la télévision. Il choisit de plus en plus sa culture dans une panoplie où les produits français sont des produits parmi tant d'autres, alors que le plus souvent, avec la télévision, des programmes lui étaient imposés sur une gamme exclusivement francillienne.

Un livre important qui va déranger beaucoup de monde, écrit par un Breton qui connaît personnellement Steve Job – le génie américain à l'origine du mac, de l'ipod, de l'iphone et de l'ipad – qui est sans doute, avec Sergey Brin et Larry Page, l'homme qui a le plus changé le monde des 40 dernières années.

«Bug made in France», de Olivier Poivre d'Arvor est publié aux éditions Gallimard (142 pages, 12 €)

Philippe Argouarch


Vos commentaires :
Vendredi 15 novembre 2024
Intéressant ! J'adore cette phrase : «... la bande de démagogues et de chauvinistes qui parlent de la culture française comme il s'agissait d'une momie qui ne peut être retirée de sa chambre parce que l'exposition à l'air frais la ferait se désintégrer» !!!

Maryvonne BECEL
Vendredi 15 novembre 2024
BJR

Je ne connaissais pas l'oosphère mais la dialectique du manipulé, il est vrai que la culture devient paraculture et malaxaculturel.


20 juillet 2011


Jean KRIFF
Vendredi 15 novembre 2024
La culture, comme le reste des 'occupations' humaines de l'hexagone doit être le vecteur de la langue française, qu'elle soit chantée ou parlée,peinte ou architecturée et le moyen de mettre au travail, par l'abandon systématique des paillettes, d'un maximum de personnes; ceci, afin de permettre aux créateurs d'avoir à disposition les gens nécessaires à un meilleur niveau de création et de dégonfler les bureaux de chômage.

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