Plusieurs livres ont été écrits sur l'affaire du camp de Conlie, où 60.000 Bretons ont croupi pendant des mois en 1870. Par contre, pas grand chose n'est dit de la bataille du Mans entre les forces françaises commandées par le général Chanzy et les Prussiens commandés par le Duc de Mecklenburg, qui s'est déroulée sous la pluie et la neige les 11 et 12 janvier 1871, il y a juste 140 ans.
Il ne s'agit pas de raviver ici des haines ancestrales mais de faire la vérité sur ce qui s'est passé lors d'une des dernières batailles de la guerre de 1870 entre la France et la Prusse.
Des milliers de Bretons désarmés y furent massacrés. Environ 19.000 Bretons pour la plupart sans fusils potables, venant du camp de Conlie pour former une division sous les ordre du général Lalande, participèrent à la bataille du Mans. Chanzy qui disposait de 150.000 soldats en tout contre seulement 73.000 Prussiens a été misérablement battu et blâma les Bretons pour sa défaite.
Des Bretons même pas armés pour se défendre et qui furent sabrés par la cavalerie française, car tels étaient les ordres de Chanzy pour ceux qui auraient décidé de reculer. Le nombre de Bretons morts à cette bataille n'est pas connu mais il peut s'agir de milliers de soldats sacrifiés inutilement, voire volontairement. Beaucoup cependant réussirent à s'enfuir et à rejoindre leur Bretagne. Chanzy avoue 50.000 déserteurs, un tiers de son armée, en plus des 7.000 tués et blessés et des 25.000 faits prisonniers.
Fénelon disait qu'«un historien n'est d'aucun pays», mais on peut dire que pour l'histoire de Bretagne ou des Bretons, il est préférable d'aller voir chez les historiens anglais ou allemands comme on l'a fait pour Landais. La bible pour cette guerre est The Franco-Prussian War, écrite par le professeur d'Histoire Moderne de l'Université d'Oxford, Michael Howard, et publiée pour la première fois en 1962. Plutôt que de résumer ce qu'il a écrit à la page 400, ABP en a fait la traduction.
Chanzy lui-même était malade et épuisé, mais sa détermination ne lui faisait pas défaut. Il rassembla ses dernières réserves d'énergie et ratissa Le Mans de tous les hommes disponibles. Il avait ses trois corps d'armée et leurs renforts et en plus il avait 22 bataillons de Gardes Civils bretons venant du camp de Conlie, 25 km au nord du Mans, qu'il avait fait venir en dépit des protestations de son commandant qui affirmait qu'ils n'étaient ni armés ni entraînés.
Une grande partie d'entre eux arriva seulement armée de fusils américains de la Guerre de Sécession qui se chargeaient par le canon. Les munitions étaient trempées par la pluie, elles étaient du mauvais calibre, et les soldats ne savaient pas comment les charger. Même s'ils avaient pu charger les fusils, le système de mise à feu était défectueux. Aucun équipement d'entretien ne fut fourni, mais on doute que quelque chose aurait pu effleurer l'épaisse couche de rouille qui s'était accumulée en six ans depuis la fin de la Guerre de Sécession.
Ces hommes misérables, seulement armés de ces armes déplorables, eurent à se mettre en ligne. Des tranchées furent creusées devant Le Mans, les routes barricadées, des canons placés avec des munitions, et, le soir du 10 janvier, Chanzy donna les ordres par lesquels il espérait inspirer ses troupes brisées grâce à sa propre détermination. Il se plaignait que ses instructions n'étaient pas suivies. L'offensive qu'il avait demandée n'avait pas été déclenchée et il réprimanda les généraux responsables.
Il demanda alors à ses hommes de défendre Le Mans de la même façon qu'ils avaient défendu leur position au dessus de Beaugency. La cavalerie serait placée derrière eux et garantirait tout cela. Les fuyards seraient tués, et si nécessaire les ponts seraient démolis pour obliger les défenseurs à se battre jusqu'au dernier.
[..]Les fugitifs se sont retrouvés devant les sabres de leur propre cavalerie, les canons implacables de leur commandant, et l'eau glacée de l'Huisne.
On est en droit de se poser une question, légitimement, même si les circonstances étaient particulières dans le contexte de la défaite. A-t-on équipé volontairement les gardes mobiles bretons avec des fusils défectueux ? Et si non, pourquoi ont-ils été envoyés en première ligne pour défendre Le Mans dans de telles conditions ? Finalement pourquoi les Brigades Mobiles bretonnes n'ont-elles pas reçu des fusils à culasse [[chassepot]], le meilleur fusil de l'époque ? Inventé en 1866, il en existait 1.200.000 en 1870 et les principales manufactures se trouvaient à Saint-Étienne, dans une zone que la guerre épargna !
Les sources de Howard pour cette épisode de la guerre sont les mémoires de Chanzy Deuxième armée de la Loire, celles de l'amiral Jouréguiberry et celles du général allemand Voigts-Rhetz dans son Kriegsbriefe.
Philippe Argouarch
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