Parmi les câbles diplomatiques que Wikileaks a récemment mis en ligne, on trouve le résumé d'une conversation que Michel Rocard a tenue avec l'ambassadeur des États-Unis en résidence à Paris. L'ancien Premier ministre explique que la France est difficile à gouverner car elle s'est formée à la Révolution par l'assimilation de cultures hétérogènes. (voir le site)
L'ambassadeur américain rapporte que «Rocard, comme l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing, croit que l'histoire de France fournit les clés pour comprendre la politique française. Rocard remonte à l'époque de l'émergence de l'État-nation. L'histoire des autres États-nations européens est celle de communautés linguistiques au service de leurs intérêts commerciaux. La France s'est créée par la destruction de cinq cultures — bretonne, occitane, alsacienne, corse et flamande».
«Nous sommes la seule nation européenne qui soit la création militaire d'un État non homogène. C'est ce qui rend la France difficile à gouverner et explique notre difficulté à réformer, notre lenteur», dit-il (Michel Rocard).
Dans un autre câble daté de janvier 2010, l'ambassadeur des États-Unis déplore que le futur de la France soit conditionné par sa capacité à doter ses minorités d'une représentation politique.
«La France s'est longtemps faite la championne des Droits de l'Homme et du respect de la Loi, tant chez elle qu'à l'étranger, et se perçoit à juste titre comme un leader historique parmi les nations démocratiques. Cette histoire et la propre perception qu'elle en a vont bien nous être utiles dans la stratégie soulignée ici, par laquelle nous pressons la France vers une plus complète application des valeurs démocratiques qu'elle prône. Cette stratégie est nécessaire parce que les Institutions françaises n'ont pas donné elles-mêmes la preuve qu'elles sont assez flexibles pour s'ajuster à la démographie hétérogène du pays qui est en augmentation. Très peu de gens issus de minorités sont en position de leader dans les institutions publiques françaises.»
Bien qu'ayant en tête surtout la minorité musulmane (On comprendra que les Etats-Unis soient concernés par le développement dans les banlieues de foyers de révoltes propices au recrutement d'Al Qaeda), l'ambassadeur décide d'influer sur le débat en France et propose un programme dont le but est de faire prendre conscience aux leaders politiques de l'importance d'une reconnaissance des minorités. L'ambassadeur reconnait les deux vaches sacrées françaises : la laïcité et le communautarisme – des concepts sémantiques qui d'après lui ne devraient pas entraver toute évolution :
« Rather than retreating from discussions involving two sacred cows in France — the concepts of secularism and communitarianism — we will engage French leaders directly about the role that their terminology and intellectual frameworks could play in creating (or diminishing) equality of opportunity in France ». (voir le site)
Comme on l'a vu avec la signalétique, la France est aux prises avec une contradiction qui remet en cause ses fondements. Les nouvelles minorités issues de l'immigration ont très peu de droits et de reconnaissance et encore moins de représentation au parlement. Leurs enfants ont tendance à se révolter. La France en a fait un constat amère. D'un autre côté, elle ne peut donner des droits aux nouveaux arrivants sans aussi en donner aux anciennes nationalités qui composent son territoire : Bretons, Occitans, Alsaciens, Corses, Basques et Catalans. Avoir de l'arabe à la poste, tout en refusant le breton, ne pourra jamais être compris. Enseigner l'histoire de l'Afrique du nord aux Français issus de l'immigration récente sans enseigner l'histoire de la Bretagne aux Bretons serait une incohérence encore plus flagrante. La Cinquième République est morte de ses contradictions insolvables.
Philippe Argouarch
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