C'est devenu une habitude hivernale : pointer du doigt l'insuffisante production électrique de la Bretagne, agiter le grelot du risque de panne, et souligner avec des airs entendus que son refus des centrales nucléaires ne l'empêche pas de consommer l'électricité nucléaire des autres...
Passons sur les capacités de décision prétendument dévolues à la Bretagne. La France suréquipée qui, selon le dossier de presse du Réseau de Transport d'Électricité (RTE), a produit 549 milliards de kilowatts-heures en 2008, et n'en a consommé que 486, n'aurait pas dû devoir importer les 46,6 milliards de kwh qui lui ont manqué pour passer l'hiver ! Des kwh mendiés par la France qui lui coûtent beaucoup plus cher que ceux qu'elle vend le reste de l'année. Les choix français du tout-nucléaire et du chauffage électrique - intimement liés - ont conduit à cette situation. La Bretagne n'en est pas responsable.
À propos des «insuffisances» de la Bretagne, qui ne produirait que 8 % de l'électricité qu'elle consomme, observons que les chiffres cités pour la «Bretagne» concernent la seule Bretagne résiduelle (c'est-à-dire sans la Loire-Atlantique). Or, de l'aveu même des commentateurs publics inspirés par EDF, 30 % de la consommation de cette Bretagne-là est fournie par la centrale électrique de… Cordemais en Loire-Atlantique ! Ce qui porte déjà la part produite à 38 % de la consommation considérée. En tenant compte de la production de Cordemais consommée en Loire-Atlantique, on reste loin des «insuffisances» annoncées.
Alors que l'Île de France ne produit effectivement que 8 % de l'énergie qu'elle consomme, vous ne lirez jamais une ligne pas plus que vous ne visionnerez 10 secondes de reportage pour en informer le public. Et vous pouvez toujours chercher à vous renseigner sur les projets d'implantation de centrales électriques dans la région «capitale», ce n'est pas à l'ordre du jour, c'est tout juste bon chez les ploucs.
Ces quelques précisions apportent un éclairage indispensable sur le caractère de la campagne intéressée que nous subissons. En toute hypothèse, nous n'avons pas à être désignés comme bouc émissaire par les responsables des choix qui sont réellement en cause. D'autant qu'il existe des solutions alternatives.
Ainsi, sachant que le chauffage électrique d'une maison fait appel à une dizaine de kilowatts en moyenne lorsqu'il fonctionne à pleine puissance par grand froid, il suffirait de convertir 40 à 50.000 des chauffages électriques de ces maisons pour «effacer» les 400 mégawatts qui manquent en heure de pointe. Et sachant qu'environ 500.000 ménages bretons sont actuellement équipés en chauffages électriques, il suffirait seulement que 10 % d'entre eux changent de mode de chauffage... quitte à aider ces ménages à hauteur de 40 à 50 % de leurs investissements. Cela coûterait ainsi deux fois moins cher que la construction d'une centrale gaz de 400 mégawatts. Le tout-électrique n'est plus de saison ! Une calorie issue d'une électricité produite à partir du gaz naturel (cf le projet de centrale de Guipavas) coûte, à la production, 2,5 fois plus cher qu'une calorie produite par la combustion directe du gaz !
Il faudrait exposer les données du problème et les solutions alternatives auprès des plombiers chauffagistes, dans les Chambres des métiers et dans les six Centres de Formation des Apprentis des métiers du bâtiment de Bretagne afin de contrer cette propagande. Le secteur du bâtiment en Région Bretagne a perdu 5.000 emplois en 2009 et devrait en perdre encore 2.500 en 2010, d'après le président régional de la Fédération du bâtiment, M. Yves Le Normand. 90 entreprises bretonnes ont mis la clé sous la porte. Alors qu'attendent donc l'État mais aussi l'exécutif du Conseil régional pour lancer dès maintenant un grand chantier régional en faveur des économies d'électricité ?
C'est en effet le rôle de la Région puisqu'elle est en charge de l'apprentissage, dont celui des métiers du bâtiment. Il serait également opportun de faire un autre geste à destination des professionnels du bâtiment en concentrant l'aide de la Région sur les travaux de conversion vers des modes de chauffage plus économes et renouvelables plutôt que de participer au financement d'une centrale électrique à gaz inutile et contraire aux ambitions d'une industrie bretonne des énergies marines.
Nous n'avons pas besoin de plus d'électricité, nous devrons de toute façon en consommer moins à l'avenir, mais plus intelligemment. C'est à cette condition que la Bretagne, aujourd'hui victime des choix de l'État et de l'industrie nucléaire de l'électricité, pourra prétendre imiter le modèle écossais (réduction de 42 % des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2020). D'autant que les conclusions du Sommet des négociations sur le climat de Cancun insistent – tant pour atteindre les objectifs du Millénaire que pour limiter sérieusement les émissions de gaz à effet de serre – sur le fait que les collectivités villes et Régions sont le bon niveau pour réaliser des plans d'actions intégrés : entre autres la qualité de construction et les économies d'énergie dans les bâtiments, ainsi que le développement des énergies renouvelables.
Pour l'Union démocratique bretonne, la porte-parole Mona Bras
Pour le reste, je suis plus nuancé. Ainsi, je pense que faire référence au « modèle écossais » est plus que douteux. L’UDB présente comme un fait acquis la diminution de 42% des GES en 2020. Mais ce n’est qu’un objectif fixé par une loi (Climate Change Act) !
En réalité, l’évolution des émissions de l'Ecosse peut difficilement mener à la considérer comme un modèle : entre 1992 et 2006, ces émissions ont régulièrement augmenté (au total, de 10,4 millions de tonnes équivalent CO2)
Les émissions per capita ont suivi une évolution similaire, passant de 14,7 à 16,7 tonne CO2equ/hab entre 1992 et 2006. C’est certes mieux que les 55,5 du Quatar (l’idole des marchés financiers et des « bling bling » de tous les pays) ou que les 23,5 des USA.
Mais c’est tout de même beaucoup par rapport à la moyenne européenne (10,6), à la moyenne pour le Royaume-Uni (10,6 aussi). Ou surtout par rapport aux 8,8 français ou aux 7,4 suédois.
Alors certes, les émissions écossaises ont chuté de façon spectaculaire avec la crise : -20% en trois ans. Mais ce n'est qu'un effet conjoncturel, pas un modèle à suivre ! Je rappelle au passage que la France a déjà réussi à diviser ses émissions par 4. Mais c'était entre 1939 et 1945, avec l'austérité et la désindustrialisation imposées par les troupes d'occupation !
Sources : Voir le site
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Dans le secteur électrique écossais, les émissions ont augmenté de 20% sur la période 1990-2006, principalement du fait de la mise en ligne de nouvelles centrales au gaz. Ironiquement, l'UDB antinucléaire présente comme modèle une région où le nucléaire représente tout de même plus du tiers de la production !
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Les Bretons devraient enfin se rendre compte qu'ils ne seraient pas ainsi en difficulté s'ils avaient accepté le nucléaire. Certains sont peut-être d'ailleurs de cet avis (la majorité silencieuse?)
Par ailleurs le bilan carbone effectivement élevé des Ecossais s'explique par l'importance de l'industrie d'extraction pétrolière et gazière offshore en Mer du Nord.
Il ne s'agit pas d'idéaliser ce qui se passe en Ecosse mais ce qui est remarquable dans la démarche écossaise c'est deux choses:
1) l'engagement concret dans la construction d'une industrie des énergies marines afin qu'elles se substituent progressivement aux énergies fossiles,
2) une démarche de transparence et de pédagogie au niveau budgétaire, en ayant décidé de comptabiliser les budgets publics en équivalent CO². D'ailleurs, après que j'eus proposé au Conseil régional de Bretagne d'en faire de même en 2009, JY Le Drian a repris l'idée dans son programme électoral en 2010.
Au-delà des considérations environnementales et de sécurité (Tchernobyl est tout de même à l'origine de la plus grande catastrophe énergétique de tous les temps... et des milliers d'Ukrainiens et de Biélorusses continuent à la subir dans leur chair (1), sur un strict plan économique je rappellerai simplement que le coût faramineux du stockage des déchets radioactifs et du démantèlement des centrales obsolètes n'est jamais pris en compte quand il s'agit d'évaluer la pertinence du nucléaire civil.
Or le coût du démantèlement de la «mini-centrale» de Brennilis, démantèlement toujours inachevé 25 ans après la fin d'activité, est évalué par la Cour des Comptes (des gens sérieux n'est-ce pas?) à 482 millions €, soit la moitié du budget de la Région Bretagne.
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Le coût du démantèlement des 58 réacteurs nucléaires existants en France est évalué à 65 milliards €.
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Quant à la comparaison entre le coût du gaz et celui de l'électricité issue de la combustion du gaz (comme il est prévu avec le projet de centrale électrique à gaz de Guipavas), je souligne que l'association Negawatt, qui regroupe 350 professionnels français du secteur de l'énergie, a calculé que la production d'une calorie à partir d'une centrale électrique à gaz coûte de 2 à 2,5 fois plus cher qu'une calorie issue de la combustion directe du gaz. Donc, oui, à défaut d'énergies renouvelables locales, le chauffage au gaz naturel est économiquement et écologiquement parlant la moins mauvaise des solutions.
(1) Je sais, c'était une technologie soviétique mais c'est également cette technologie qui a envoyé les premiers hommes dans l'espace.