Gauche et gauchisme

Lettre ouverte publié le 19/11/10 12:03 dans Politique par Bernard Poignant pour Bernard Poignant

Traditionnellement, même historiquement, il y a une gauche réformiste et une gauche révolutionnaire. Le Parti Socialiste incarne le mieux possible la première, même si certains de ses éléments sont tentés par la seconde. L'une croit à la rupture en cent jours, l'autre sait que nos sociétés évoluent plus qu'elles se révolutionnent. La tentation gauchiste est donc toujours latente au risque de compromettre la victoire de la gauche toute entière.

Le gauchisme ou extrême gauche ou ultra gauche ou gauche radicale peut revêtir plusieurs visages mais la culture et les méthodes sont les mêmes. Il a le visage du trotskisme quand il est partisan. Il peut se dissimuler sous la forme associative pour se donner un aspect généreux et désintéressé. Il apparaît sous la forme spontanéiste de «collectifs» quand il prétend se vêtir du costume de résistant. Dans tous les cas, il cherche à obtenir par la violence verbale, l'intimidation et l'agressivité ce qu'il n'arrive jamais à obtenir par les urnes. Le peuple ne souhaite pas voir ce courant de pensée gérer ses affaires, ses communes comme son pays. Cela suscite des frustrations qui alimentent l'agressivité.

Les courants gauchistes en arrivent alors à ne pas reconnaître la légitimité des élus du peuple. La démocratie représentative devient suspecte. Elle n'exprimerait pas les « vraies » attentes et demandes de la population. Par définition, l'élu devient un adversaire qu'il soit de droite, de gauche ou du centre. Il faut donc le contourner : la démocratie participative peut alors être utilisée à cette fin. Il suffit d'en noyauter les structures et de l'instrumentaliser. Les modalités légales de participation des citoyens sont mêmes regardées avec méfiance. De la même façon, la démocratie référendaire est régulièrement appelée au secours. Puisque les représentants du peuple sont à bannir, tentons de les contourner par l'appel permanent à la base ou via le référendum. Quel qu'en soit le sujet et peu importe si c'est légal ou pas !

Enfin, quand le responsable de l'exécutif est socialiste, qui plus est de tendance social-démocrate, il devient le diable en personne. S'il le revendique fièrement, il devient l'homme à abattre, et même à discréditer par l'injure, l'insulte et la calomnie. Sur ce terrain, les deux extrêmes ont quelques points communs.

Cette forme de gauchisme demande d'ailleurs au socialisme démocratique de bien vouloir relayer ses propres propositions, au nom de ce qu'il appelle la « vraie gauche ». comme s'il y en avait une fausse. J'ai entendu François Mitterrand répondre à quelqu'un sur ce thème : « Nul n'est juge du socialisme, sauf le peuple ». Il n'a pas besoin d'un corps d'inspection générale ou d'un pape infaillible !

La gestion des services publics sert souvent de champ de bataille à l'extrême gauche pour tenter de culpabiliser les réformistes. La question de l'eau, de sa production, de sa distribution et de son épuration en fournit un exemple. Et pourtant, le Parti Socialiste français a précisément une doctrine sur ce sujet. Il n'interdit pas de faire usage d'une loi du 20 janvier 1993 qui organise la délégation de service public. Elle a été promulguée par François Mitterrand, proposée par Pierre Bérégovoy, présentée à l'Assemblée Nationale par Michel Sapin. Les députés socialistes (dont moi-même) et radicaux de gauche l'ont votée. Les députés communistes se sont abstenus pour ne pas gêner leurs élus locaux qui s'apprêtaient à l'appliquer.

Pour l'élection présidentielle de 2007, le projet socialiste laissait «aux élus locaux la possibilité de choisir entre la gestion publique et la gestion privée».

L'année suivante, dans le numéro d'octobre 2008 de la revue Économie Politique, le Premier Secrétaire du PS, François Hollande, écrivait ceci : «Une mission peut être exécutée par la délégation de service public». En juin 2008, par un vote de très large majorité, les adhérents du PS ont adopté une nouvelle Déclaration de principes, la cinquième de leur histoire. Ils ont abandonné l'objectif de la propriété publique de tous les moyens de production et d'échanges. Ils ont décidé que le cadre de leurs propositions se situait dans une «économie sociale et écologique de marché». Pour un gauchiste, c'est l'horreur. Mais les Français sont les seuls juges.

Le dernier livre qui évoque cette question est celui de Jean-Louis Bianco «Si j'étais Président», paru chez Albin Michel en ce mois de septembre 2010. Page 184, il lui est demandé de se définir comme socialiste. L'ancien Secrétaire Général de François Mitterrand à l'Élysée pendant 10 ans répond ceci : «à la fois idéaliste et pragmatique». Il illustre son positionnement de la façon suivante : «Je ne suis pas choqué par une délégation de service public exercée par une entreprise privée. Je ne fais pas partie de ceux qui estiment que la régie représente toujours le bien incarné et que la délégation de service public serait mauvaise par principe».

Que l'on gère une ville, un département, une région, un pays, le plus simple est de rester fidèle à ce que l'on est, sans se laisser impressionner par l'agitation ambiante dès lors qu'elle s'accompagne d'agressivité injurieuse et calomnieuse.

Bernard Poignant

Novembre 2010


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