Spécialiste des dossiers judiciaires concernant la traite négrière au début du XIXe siècle, Annick Le Douget a livré aux universitaires et étudiants chanceux (conférence organisée par Ronan Le Coadic dans le cadre du groupe ERMINE) un exposé fort brillant ce vendredi à Rennes, remettant en cause à partir principalement de trois affaires la façon dont la cour d'assises du Finistère a rendu la justice.
Greffière au tribunal de Quimper, ayant de ce fait accès aux archives départementales et nationales facilement (mais tout citoyen peut les consulter), elle prépare actuellement une thèse sur la famille et ses violences avec Daniel Giraudon.
Les notables bretons, jurés des cours de justice, étaient assez indifférents à ce qu'il se passait outre mer. De classe sociale aisée (commerçants, militaires, nobliaux), ils ne représentaient qu'une petite part de la population.
Les esclaves ? Une «marchandise». Ce sont les Anglais qui les premiers ont aboli l'esclavage et la France a traîné un peu, arguant entre autre que le sort des esclaves qui n'étaient pas vendus était pire que ceux qui étaient envoyés aux Antilles ...
Les trois affaires
Le navire «La Coquette» dont le capitaine est Émile Vincent va avoir deux autres noms «L'Eugénie» (quand il est sous pavillon danois), et «La Vénus» quand il est sous pavillon hollandais. Né à Saint Domingue, parlant plusieurs langues, il affrète cette goélette pour la traite, achète des canons, part sur la rivière de Calaba au Niger. Là, il échange pour 75 000 francs d'objets divers, 220 esclaves. Deux croiseurs anglais l'accostent, le saisissent et conduisent le navire en golfe de Guinée. La commission mixte de Sierra Leone lui confisque son bateau et le renvoie en France.
Il sera jugé en novembre 1830 à Quimper. Pour se défendre, il dira qu'il ne connaissait pas la nouvelle loi qui abolit l'esclavage, qu'il est ruiné. Pour toutes ces raisons, il sera acquitté. Les jurés considèrent que la victime, finalement, c'est Émile Vincent ...
On a maintenu le mythe des rois africains cruels pour le maintien de la traite. Les pires négriers sont africains, se plait-on à penser . «Un chef nègre a fait égorger 200 esclaves qu'il n'avait pas réussi à vendre», lit-on même dans un fait-divers. Quand on sait aussi que les «cargaisons» d'esclaves qui étaient interceptées dans le cadre de cette loi de 1817 qui abolissait la traite devenaient employés aux travaux d'utilité publique dans les colonies ...on peut penser que cette générosité hypocrite faisait des esclaves destinés à des propriétaires privés, des esclaves de ... la France.
Deux autres affaires ont retenu l'attention de la conférencière : le sort de Jean Lucas, matelot embarqué à bord de la «Nympha» qui lui aussi va être jugé en Sierra Leone et qui sera jugé à Quimper le 21 janvier 1832. Ayant déjà fait huit mois de prison, fers aux pieds et aux poings avec les Anglais, il aura la clémence des jurés qui l'acquitteront aussi. En avril 1850, l'équipage de L'Émilie va être jugé à Quimper, ils obtiennent aussi leur acquittement : n'ayant pas d'esclaves à bord, et là aussi ce sera l'arrogance anglaise qui sera punie par ce vote ...
Le monde politique, judiciaire, militaire et maritime chargé de la répression de la traite de l'époque est exclusivement masculin. Il n'existe aucune compassion pour les hommes et femmes qui subissent l'esclavage. Violence, détermination, soif de pouvoir et d'argent dominent. Le criminel devient une victime, il veut rétablir l'honneur perdu. Les esclaves sont des ombres fantomatiques dans ces procès. Il faudra attendre avant que l'on parle de «crime de lèse-humanité, d'arracher des gens sans défense à leur pays».
Tout se passe donc dans un contexte d'indifférence aux pays lointains, d'anglophobie (trois siècles de guerres sur les mers) et maintenir la traite est une façon de s'opposer à l'ennemi anglais et de défendre une nation française humiliée. La presse est indifférente, l'opinion publique ne s'y intéresse pas. La revue en breton «Feiz ha Breizh» entre 1865-1884 mentionnera rarement la traite transatlantique. L'esclavage est assimilé au paganisme, à l'islam, et lutter contre l'esclavage devient une lutte contre ceux qui suivent la mauvaise religion de Mahomet, des Mahométans.
La prise de conscience sera tardive et viendra en 1888 avec le pape Léon XIII, et l'Oeuvre du cardinal Lavigerie qui aura un fort retentissement dans le diocèse de Quimper et celui de Léon. La conquête missionnaire va marquer alors une autre étape dans l'aventure coloniale bretonne ...
Références bibliographiques
Annick Le Douget, auteur du livre “Juges, esclaves et négriers en Basse-Bretagne. L'émergence de la conscience abolitionniste”. (2000) Epuisé ; réédition prévue en 2011.
À partir des archives judiciaires bretonnes, A. Le Douget a écrit également sur la peine de mort «Justice de sang. La peine de mort en Bretagne XIXe-XXe siècles». 2008. Disponible, diffusion De Borée.
Mais oui, bien sûr, comme tout le monde ! Qu'est-ce-que c'est que cette phrase, qui insinue qu'elle aurait un accès extraordinaire, sans doute parce qu'elle est greffière ???? C'est idiot ! Ca ne se passe pas comme ça. N'importe qui peut aller consulter les dossiers qu'a consulté cette dame : les services d'archives sont ouvert à tous les publics, pas seulement aux chercheurs ou aux «gens autorisés» ...
Vous écrivez dans cet article je cite: «L'esclavage est assimilé au paganisme, à l'islam, et lutter contre l'esclavage devient une lutte contre ceux qui suivent la mauvaise religion de Mahomet, des Mahométans.»
Soit, mais vous oubliez de mentionner que les mahométans-(et non pas les africains de souche dirions-nous de nos jours), étaient les principaux marchands d'esclaves.... Votre raisonnement ne tient donc pas si l'on prend en compte cette vérité historique, les musulmans avaient grand intêret à ce que l'esclavage continuasse ainsi que les chrétiens...C'était en quelque sorte donnant donnant!
Kenavo ar wezh all