Préambule : de mauvais prétextes pour un choix dépassé
Constatons tout d'abord que :
a) si la Région Bretagne produit actuellement 8 % de l'électricité qu'elle consomme, la Bretagne historique, elle, avec les équipements existants en Loire-Atlantique (Cordemais, Montoir-de-Bretagne), produit 38 % de sa consommation. Soit bien davantage que l'Île-de-France qui ne produit que 10 % de l'électricité qu'elle consomme. Que n'a-t-on décidé de construire une centrale électrique au gaz sur le Champ de Mars ?!
b) le préfet de Région comme le président du Conseil régional prennent pour acquis et inéluctable une augmentation de la consommation électrique dans les années à venir. Nous ne partageons pas ce postulat qui encourage l'ébriété énergétique plutôt que la sobriété.
c) l'État et EDF sont les principaux responsables du différentiel entre production et consommation d'électricité en Bretagne, particulièrement lors des pics hivernaux de consommation, en ayant, depuis des années, très largement incité à l'équipement des foyers bretons en chauffage électrique, dans une logique anti-économique (lire le paragraphe « économie » dans la partie suivante). Constatons que ce sont les mêmes, rejoints par le président du Conseil régional, qui crient au loup aujourd'hui.
d) actuellement 8 % de l'électricité produite par la Région Bretagne (4 départements) est d'origine renouvelable (éolien terrestre, barrage de la Rance). Or le 24 septembre à Rennes, le président du Conseil régional a pris l'engagement d'une puissance installée en énergies renouvelables de 3.600 MW en Région Bretagne à l'horizon 2020 (800 MW installés aujourd'hui), soit une augmentation de 350 % d'ici dix ans ! Si cet engagement est réel de la part de l'État et de la Région, qu'a-t-on besoin d'une centrale électrique au gaz dont l'entrée en service n'interviendrait dans le meilleur des cas que dans 5 à 6 ans ?
Plutôt qu'engager 350 millions € d'investissement dans la construction d'une centrale électrique au gaz à Guipavas, équipement déjà dépassé avant d'être lancé, et 250 millions d'€ dans la construction d'une ligne haute tension de 225.000 volts entre Lorient et Saint-Brieuc (mise en service annoncée pour fin 2017 au plus tôt), une ligne à haute tension qui s'opposera au développement des réseaux locaux intelligents (« smart grids »), nous voudrions que ces sommes considérables (600 millions d'€) soient investies dans des actions d'économies d'énergie à l'échelle de toute la Bretagne et dans une accélération du déploiement des énergies renouvelables qui sont immédiatement disponibles.
Les problèmes que pose le projet de Centrale électrique au gaz
– Démocratie
Les Bretons en général et les habitants du pays de Brest en particulier ont appris les intentions de l'État et de ses partenaires publics et privés par une « fuite » dans la presse régionale. Cette façon de faire est inacceptable du point de vue démocratique et rappelle fâcheusement d'autres projets dits « sensibles » du type centrales nucléaires ou sites d'enfouissement de déchets radioactifs (Huelgoat, Fougères). Depuis la Conférence régionale de l'énergie du 24 septembre, nous savons que ce projet est autant celui du Président du Conseil régional que celui de l'État.
Le préfet de Région et le président du Conseil régional renvoient la responsabilité du choix du site aux élus de BMO. C'est se moquer du monde car le territoire de BMO ne comporte que deux sites potentiels: le polder du port de commerce (hypothèse rapidement écartée en raison du risque Seveso) ou le lieu-dit Lanvian en Guipavas. Le choix est déjà fait.
Si ce projet de centrale thermique ne présentait que des avantages et aucune nuisance sur le long terme pour la collectivité d'accueil, alors pourquoi l'État et certains élus locaux semblent-ils disposés à négocier des contreparties totalement déconnectées du sujet comme le financement du contournement routier Est de Guipavas?
– Sécurité des personnes
Une centrale au gaz de ce dimensionnement est une installation de type Seveso. Elle comporterait des cheminées d'une hauteur de 60 mètres. Le tout à proximité immédiate d'un aéroport commercial. Imagine-t-on un instant que l'État autoriserait l'implantation sur ce site-là d'éoliennes de 60 mètres de haut ? Poser la question c'est y répondre.
Cette question de sécurité est d'autant plus légitime que le lieu-dit Kerintin, situé à quelques centaines de mètres à peine du site où l'État et le président du Conseil régional veulent implanter une centrale électrique au gaz, a vu un avion commercial se crasher, le 22 juin 2003 : (voir le site) Certes c'était avant des travaux de modernisation de l'aéroport Brest-Bretagne (allongement de la piste, équipement antibrouillard), mais la dangerosité du site au regard de l'activité aérienne est bien avérée pour une installation classée Seveso.
– Énergie
Il y a une grande confusion autour de la fonction de ce projet de centrale électrique au gaz. La Conférence régionale de l'énergie du 24 septembre n'a pas levé la confusion. À lire ou entendre certains, il s'agit de remplacer la centrale dite d'appoint dont la population et les élus du pays de Saint-Brieuc n'ont pas voulu. Pour d'autres il s'agit au contraire d'une unité de production de base, donc appelée à fonctionner en permanence, pour remplacer tout ou partie des équipements de Dirinon et de Brennilis. Un projet dont la finalité n'est pas précisée est-il un projet sérieux ?
Il est aberrant de prétendre améliorer l'autonomie énergétique de la Bretagne en faisant le choix d'une énergie importée de pays aussi peu sûrs au plan géopolitique que la Russie ou l'Algérie (que fera-t-on en cas de rupture d'approvisionnement ?), une énergie fossile, donc non durable, et une énergie dont le prix est aligné sur celui du pétrole, donc appelé à flamber. Il est clair que ce projet ne peut qu'aggraver la dépendance énergétique de la Bretagne.
La réalisation d'une centrale électrique au gaz mobilisera des financements publics et privés qui seront détournés des mesures d'économie d'énergie et du développement des énergies renouvelables, notamment dans le secteur des énergies en mer. Or, en matière d'éolien offshore la France accumule beaucoup de retard sur ses concurrents étrangers, européens notamment (Grande-Bretagne, Danemark, Allemagne... ) qui, eux, sont passés à la phase de production, pour certains depuis plusieurs années déjà.
Si une centrale électrique au gaz de 450 MW se construit à Guipavas, nous sommes convaincus que la nécessité d'investir dans les économies et le développement d'une filière des énergies renouvelables en Bretagne ne s'imposera plus aux yeux de l'État et de certains milieux industriels.
– Environnement - santé - climat
Ce projet, tant dans sa phase de construction que dans sa phase de fonctionnement, aurait un bilan CO² fortement négatif pour l'environnement. Une centrale au gaz de 450 MW, c'est un rejet de 3.900 tonnes de CO² par jour, soit l'équivalent de 550.000 voitures roulant 40 km par jour et rejetant 140 g de C0²/km. Le bilan carbone de la Bretagne s'en trouvera fortement aggravé. Or la Bretagne et le pays de Brest ont voulu se distinguer au plan international en accueillant le centre mondial d'appui aux régions dans la lutte contre le dérèglement climatique (ClimSAT). Leur crédibilité est en jeu aux yeux de l'ONU.
L'État est incohérent puisque, en application du Grenelle de l'environnement, le législateur impose aux collectivités ou intercommunalités de plus de 50 000 habitants d'adopter d'ici fin 2012 des Plans Climat censés réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. C'est tout le contraire que l'Etat et la Région veulent faire à Guipavas.
– Économie
La centrale électrique au gaz que l'État et le président du Conseil régional veulent implanter à Guipavas est-elle une bonne solution du point de vue économique ?
L'association Negawatt, qui réunit 350 professionnels de l'énergie, a publié, en décembre 2009, une étude très fouillée sur « la pointe d'électricité en France » : (voir le site) . On peut y lire, page 14, en référence directe au type d'équipement qui est programmé à Guipavas (centrale à cycle combiné au gaz):
« Le développement en France des cycles combinés au gaz pour la production d'électricité destinée au chauffage électrique imposerait d'importer 2 à 2,5 fois plus de gaz que si l'on choisissait de consommer ce même gaz pour chauffer, à niveau d'isolation égal, directement les logements avec des chaudières performantes ».
« L'accroissement de la demande de pointe due à l'essor du chauffage électrique conduit, soit à démarrer des centrales thermiques en France [commentaire de C. Guyonvarc'h : nous y sommes !], soit à réduire les exportations, soit à importer de l'électricité. Dans tous les cas le kw/h électrique est payé par EDF ou les autres fournisseurs au prix de marché c'est-à-dire, par exemple, deux à trois plus cher que le kw de gaz naturel auquel il se substitue si le logement avait été chauffé directement au gaz ».
Donc, produire de l'électricité à partir du gaz est une gabegie. Qui la paiera au final ? Le consommateur évidemment.
Des alternatives sont possibles tout de suite pour une Bretagne plus autonome sur le plan énergétique
Nous proposons que les 600 millions d'€ d'investissement prévus dans les projets de centrale électrique au gaz à Guipavas et de ligne à haute tension entre Lorient et Saint-Brieuc soient réaffectés dès maintenant de la façon suivante :
1) que l'État, la Région, les autres collectivités bretonnes et les acteurs économiques bretons engagent un grand programme régional d'économies d'électricité dans les logements sociaux comme dans les bâtiments agricoles, industriels et tertiaires. Le dispositif Vir Volt, qui est mis en oeuvre avec succès dans le pays de Saint-Brieuc depuis 2008 et qui va permettre de réduire la demande en puissance électrique installée de 20 MW, s'il était déployé sur l'ensemble de la Bretagne permettrait à la Région d'économiser l'équivalent du projet de Guipavas.
Un tel programme d'économies d'énergie créerait beaucoup plus d'emplois et qui plus est des emplois durables car la recherche des économies et de l'efficacité énergétique est un chantier permanent par les travaux de maintenance qu'elle implique. On nous annonce la création de 25 à 30 emplois pour le fonctionnement de la centrale électrique de Guipavas. Mais le secteur du bâtiment en Région Bretagne a perdu 5.000 emplois en 2009 et devrait en perdre encore 2.500 en 2010, d'après le président régional de la Fédération du bâtiment, M. Yves Le Normand. 90 entreprises bretonnes ont mis la clé sous la porte. Alors qu'attend-on pour lancer dès maintenant un grand chantier régional en faveur des économies d'électricité ?
2) que l'État concrétise enfin son engagement en faveur des énergies marines renouvelables :
- en accélérant les procédures d'attribution des subventions promises au pays de Brest pour l'implantation de la plateforme nationale d'expérimentation des énergies marines, le lancement d'une filière industrielle et la mise en service d'éoliennes offshore et d'hydroliennes au large de la Bretagne ;
- en levant son interdiction d'implanter des éoliennes offshore entre Groix et Belle-Île (pour cause de « servitude militaire ») et en autorisant également l'implantation d'éoliennes offshore au large du Croisic ;
- en s'engageant formellement, avec la Région, à associer les pêcheurs professionnels à la mise en oeuvre des champs d'éoliennes offshore et d'hydroliennes ainsi qu'au bénéfice économique de la production d'électricité qui en résultera, comme le fait le Danemark.
Une réelle autonomie énergétique de la Bretagne est possible. Reprenant la démarche engagée il y a 30 ans pour l'élaboration du « Plan Alter Breton », l'UDB, sous la direction de Gwenaël Henry, vient de démontrer, en publiant le « Nouveau Projet Alter Breton », que la Bretagne pouvait atteindre une autonomie énergétique totale d'ici 2030 en investissant dans les économies d'énergie et toutes les formes de production d'énergies renouvelables locales : (voir le site) . L'alternative au plan Cadot-Le Drian existe, la volonté de la mettre en oeuvre aussi.
Christian Guyonvarc'h, conseiller régional de Bretagne (ancien vice-président), citoyen de Guipavas.
Le 29 septembre 2010
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