Entre temps des terroirs et temps des réseaux : l'identité bretonne

Conference debat publié le 11/08/10 12:30 dans Politique par Fanny Chauffin pour ABP
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Jean-Michel Le Boulanger
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Salle comble pour l'université d'été du Festival de Lorient. Jean-Christophe Le Boulanger a troqué sa casquette d'élu à la Région pour reprendre celle de professeur d'Université. Il cite Georges Perros en préambule pour nous dire qu'il va nous faire un “cours d'ignorance”.

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Le ton est professoral, la méthode très pédagogique. En fin de séance, les 150 participants devront savoir ce qui est constitutif d'une identité et où en est aujourd'hui la Bretagne par rapport à ce concept étrange qu'est l'identité. Il cite un professeur lorientais, François Chappée, qui disait “Il y a peu de gens qui ont serré la main à la France, peu de gens qui ont serré la main à la Bretagne”.

Ce qui fonde une identité, individuelle ou collective ce sont des éléments objectifs (langue,territoire, histoire,...), subjectifs (idéologie, croyances,...) et un récit, une narration (comment on va se raconter). Et cette identité n'existe pas sans altérité. Comment se dire breton si on est en Bretagne, dans un “entre soi” où la rencontre avec d'autres cultures n'existe pas ?

Selon une enquête de 2003, ce qui est le plus cité pour définir son identité est d'abord la famille, le métier vient ensuite, et en troisième, c'est le territoire, la référence à un espace : “je suis d'ici”.

La notion de territoire peut se comprendre de trois façons : l'espace de vie où je chemine, l'espace imaginé, rêvé, intériorisé, “fantasmé”, et enfin, un espace social, fruit de décisions politiques.

“On a besoin de se dire breton au temps des rois, mais aussi au temps des réseaux, nous avons besoin de nous dire de quelque part”. Le “temps des terroirs” va céder la place au “temps des réseaux”.

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Le temps des terroirs ? Le temps de la lenteur homogène (on ne se double pas en chemin, on va à pied ou à cheval, tout le monde est à la même allure), le retour du même (les saisons, semailles et moissons), et le temps des évidences (reproduction sociale : le fils de paysan sera paysan). La société paysanne parle breton mais ne proclame pas une “identité bretonne”. Yves Le Gallo dit : “Le Breton de notre temps sait qu'il est breton, son aïeul ne savait pas dire le mot Bretagne dans sa propre langue”. Le marin se dira breton. Peu de membres de la société bretonne se déplacent, le vagabond, le marginal est le seul individu mobile dans cette société qui ne bouge pas beaucoup. Aujourd'hui, c'est le SDF qui est immobile, qui nous regarde ...

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Avec le train, la révolution industrielle, l'altérité porteuse d'une autre culture arrive en Bretagne. Les vieilles civilisations des terroirs se confrontent en d'autres manières d'être au monde. Le droit de vote, les élections, l'école (avec un premier geste fondateur : l'affichage de la carte de France dans la classe) vont modifier ce rapport aux autres. Le Barzaz Breiz va élaborer un récit, une narration autour de l'histoire de la Bretagne. C'est le premier discours structuré sur la Bretagne.

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A la fin du XIXe siècle, la citoyenneté française s'oppose au local : “ Le touriste en 1863 à Quimper est surpris : tout le monde parle breton autour de lui”.

La guerre de 14-18 est un moment fondamental pour le sentiment identitaire en Europe, le sang de centaines de milliers de Bretons a coulé, dans Ouest-Éclair et la Dépêche, les cartes du front sont très fréquentes : on s'approprie alors ces territoires-là, “là-bas”, où sont morts des membres de la famille.

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Un élément important est la “hiérarchie de la culture”, les grandes institutions savantes se mettent en place à Paris : musées, opéra, théâtres... On oppose alors culture savante (écrite, universelle) à la culture populaire (orale, locale), le plouc et la Bécassine viennent d'un passé révolu, Paris est la ville-lumière, la ville du progrès.

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Aujourd'hui, c'est le temps des réseaux avec l'abolition du temps naturel, l'émergence du temps mondial, et l'abolition possible de l'influence de la proximité géographique, le temps de la vitesse hétérogène : dans le même quartier on peut trouver des gens qui se déplacent à pied, à vélo, en train, en voiture, en avion, on ne chemine plus ensemble, et on se double tout le temps.

Le “présentisme” domine, on passe d'émotion en émotion, le zapping triomphe. Avec le présent permanent, c'est l'abolition de la longue durée et le règne du consumérisme généralisé, de l'hyperindividualisme.

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Constat alarmant, mais perspectives passionnantes : arriverons-nous à construire nos “bricolages identitaires “ (Lévi-Strauss) ? Le sentiment identitaire en Bretagne se renforce au fil des ans, à cause des “embruns, de la gavotte des montagnes, d'un amour ancien...”

Jean-Christophe Le Boulanger prend pour exemple la grande parade de Lorient avec 70.000 personnes ce dimanche, chiffre record, qui est la preuve d'une identité enracinée et ouverte. Dans la salle, le constat est moins rose : “une culture qui n'a plus rien à donner ne pourra influencer les autres”.

Et le conférencier de conclure par une phrase de Malraux : “ La culture, c'est ce qui transforme le destin en conscience”.


Vos commentaires :
Lundi 6 mai 2024
@ Jean Louis LE MEE : Je n'ai rien contre le fait de défiler, la richesse des costumes bretons et de la musique traditionnelle mérite bien le FIL. Par contre, je ne supporte pas la «folklorisation» (revire nostalgiquement un temps passé), je préfère la «tradition» (continuer à faire vivre sa culture dans ce que le futur nous apporte). Votre exemple sur les «noces bretonnes» est bon. Se marier à la mode de Bretagne est une tradition dont nous devons être fier, mais en aucun cas un spectacle de foire pour touristes. D'ailleurs, je me suis marié dans le costume de ma région de Bretagne, pourquoi? Par ce costume est class et prestigieux, mieux que l'écossais d'après un ami européen (je le laisse juge de sa remarque)! D'ailleurs, en Bavière, Autriche, en Ecosse, en Espagne, en Hongrie, et même au Japon, les gens remettent de plus en plus avec fièreté leurs costumes pour les grandes occasions de prestige.

Mais la culture bretonne ne se résume pas à des costumes et à des binious car c'est aussi à une manière de vivre, d'envisager la relation avec les autres, de gérer une entreprise, son système de santé, sa politique intérieure et extérieure, etc...
Un opéra peut très bien être breton (sans mettre de biniou) car réalisé dans une forme typiquement bretonne, comme il peut être allemand ou italien. D'ailleurs sur ce point je n'hésite pas à répondre à ceux qui me dise qu'en Bretagne nous n'avons pas la «culture de l'opéra» (le signe de culture de haute valeur, en gros nous serions donc des ploucs), que Wagner n'a pas hésité à puisser dans la culture bretonne pour réaliser l'un des plus célèbres opéra au monde «Tristan et Iseult» (sauf que beaucoup de bretons ne connaisent pas leurs propres légendes et donc pas Tristan et Iseult!). En général, cela clos le débat!

Sur l'identité, je suis parfaitement d'accord avec Monsieur Texier quand il évoque ses 3 piliers : La langue bretonne, l'Histoire de la Bretagne, le territoire breton. La langue est mal enseignée et non reconnu comme vecteur éducatif, l'histoire n'est pas enseigné et le terrictoire est séparé en deux... Si l'Etat souhaite donner une définition claire de l'identité bretonne, on peut dire qu'elle l'est!

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