Une fois encore Paris entend maintenir sa domination sur l'espace national. Le territoire reste conforme à son étymologie justinienne : droit de terrifier (« jus terrendi »). C'est l'exercice de la domination et d'un pouvoir sans partage qui transforme l'espace en territoire.
L'inflation langagière et la Constitution permettent de parler de collectivités territoriales, mais elles ne sont que des structures administratives, sans aucune souveraineté, sans possibilité de se doter d'organes nouveaux, sans ressources fiscales propres, dépendantes des dotations de l'Etat dont elles sont le prestataire local.
La République indivisible n'a qu'un territoire. On notera que le clivage espace/territoire n'est pas partagé par la culture américaine qui utilise l'opposition espace/lieu (space and place). Il y a des espaces démocratiques dont la France ne fait pas partie leur préférant son centralisme jacobin.
Le premier reproche qu'il faut faire à cette prétendue réforme tient dans son double déficit démocratique.
1) Il n'est nullement question de la participation des citoyens aux nouvelles assemblées. Il est question de l'élu, d'un super-conseiller, nouveau notable influent qui va coûter très cher et qui renforce la professionnalisation de la politique.
2) L'existence d'un conseiller unique va de facto priver l'un des échelons du débat démocratique en plaçant la région sous la coupe du département.
Le deuxième reproche, c'est l'annonce de la disparition de la Région
L'élu du canton va privilégier les projets à impact local immédiat aux dépens des projets régionaux à long terme. Ne soyons pas dupes. Tous les conseillers généraux de gauche qui critiquent la réformette de Sarkozy n'ont désormais qu'une seule préoccupation : devenir le super-conseiller. Elus dans un cadre infra-départemental, préoccupés par leur réélection, on voit mal comment ils s'affranchiraient d'une vision localiste.
Le troisième reproche, c'est la régression institutionnelle.
Le Conseil régional va redevenir un Etablissement Public Régional (EPR) de 1972 auprès duquel les conseillers territoriaux chercheront à obtenir des financements complémentaires pour leurs projets locaux.
Le quatrième reproche, c'est la complexité
La nécessité d'une efficacité de l'action publique plaide pour la suppression du département. Mais l'absence de volonté politique de supprimer le conseiller général aboutit à cette réforme absurde et contre-productive.
Alors que la simplicité demandait une clarification des compétences, la cantonalisation des conseillers régionaux renforce l'opacité institutionnelle.
Le Conseil général, déjà devenu une agence de l'Etat, une préfecture.auxiliaire, sera de plus en plus au service de la politique nationale. Comment un conseiller territorial, agent de distribution d'aides sociales financées par l'Etat, pourra-t-il avoir une ambition régionale ?
Le manque de lisibilité des politiques publiques locales, pourtant sanctionnée par une forte abstention, ne suffisait pas. On procède par ajout d'un échelon administratif : la métropole.
Il s'agit d'un échelon non identifié qui pourrait s'octroyer certaines des prérogatives des Régions ou des départements En réalité une région dans la Région.
La métropolisation est un phénomène économique, ce n'est pas un phénomène administratif. Une métropole ne naît pas par décret, par l'effet d'un masterplan, mais par la constitution d'une vitalité (capital financier, capital social). La métropolisation relève d'une approche empirique et non normative.
Le cinquième reproche, c'est la reconcentration
Les régions et les départements se voient retirer le peu d'autonomie fiscale dont ils disposaient. Paris recentre, re-concentre, re-centralise.
Cette réforme est une négation du sens de l'Histoire.
Tant que les citoyens seront dépossédés de la gestion directe de leurs affaires par un système d'élus et de représentants qui polluent la norme démocratique, nous resterons dans l'illusion et la chimère. Cette « démocratie représentative » ne représente plus que sa propre forme : une dernière mise en scène avant la disparition finale de l'Etat jacobin dont le réel déclin ne fait plus aucun doute tant il est endetté.
Le 11 juin 2010
Jean-Yves QUIGUER
Président du Mouvement Fédéraliste de Bretagne
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