Dans son nouveau livre Projet Bretagne, édité par les éditions Apogée, le géographe et président du think tank Bretagne Prospective, Jean Ollivro, essaye de rester optimiste et présente un projet qui tombe au bon moment puisque toutes les listes inscrites pour les régionales semblent vouloir proposer un projet.
La désindustrialisation de la Bretagne
Un livre solide, la première partie est une description chiffrée de la réalité bretonne couplée d'une projection avec des chiffres clés du genre «en 2050, 50 % des Bretons auront plus de 50 ans». On apprend qu'en un an seulement en 2006, le secteur automobile breton a perdu la moitié de ses salariés, une autre moitié aurait été perdue depuis la crise. Les Chantiers de l'Atlantique ont perdu 50 % de leurs salariés en 10 ans. En 2002/2006, l'électronique, surtout autour de Lannion, avait perdu 18 % de ses emplois et la chute a continué. Bigre. On ne sait plus qui est l'idiot du village qui, il n'y a que quelques années, parlait de 'tigre celtique' breton et de «La Bretagne, le Japon de l'Europe»... On en est loin et s'en éloigne à la vitesse TGV.
L'agriculture ne va pas mieux. 10 000 hectares de terres agricoles sont perdues tous les ans. Les producteurs laitiers ont demandé à avoir le droit de toucher le RSA. Le nombre d'exploitations diminue régulièrement à raison de 3,5 % par an.
Le désastre du TGV
Ollivro met en garde les politiques : Le TGV ne va qu'accentuer les problèmes actuels, il ne les résoudra pas. Lancé par l'ancien président de région Josselin de Rohan, le TGV Le Mans - Rennes, suivi d'extensions jusqu'à Quimper et Brest, a été le mantra du président sortant et à nouveau candidat, Jean-Yves Le Drian. Dans les premières années de son mandat il n'est pas un discours du président de région qui ne mentionnait le TGV... Beaucoup y voient de la poudre aux yeux alors que la Bretagne se désindustrialise et se résidentialise.
Jean Ollivro voit dans le projet TGV au moins trois conséquences néfastes pour la Bretagne, l'accentuation de la résidentialisation (appelée aussi balnéarisation), l'accentuation du déséquilibre décisionnel (des entreprises de Rennes et de Nantes iront implanter leur siège à Montparnasse) et finalement l'endettement massif de la région puisque le TGV Bretagne devra être financé à 60 % par la région.
L'égalité devant la loi ? Certainement pas pour les régions
« En somme on dit qu'il n'y a plus rien dans les caisses et on vient de trouver 33 milliards pour le grand Paris» nous rappelle Jean Ollivro. On pourrait aussi se demander pourquoi toute la France subventionne le métro parisien (si vous avez acheté un billet de métro à Londres, vous savez quel est le coût réel). Les Bretons payent pour subventionner le métro parisien et les employés de la RATP sont des employés d'État, pas des employés franciliens. Par contre les Franciliens ne payeront pas pour construire le TGV qui les amènera en week-end à Saint-Malo ou en vacances dans leur résidence du Golfe du Morbihan.
Le coût total estimé (mais ça augmente toujours) pour la région Bretagne est de 690 millions ( seulement 94 millions pour les PDL). Le budget annuel de la région est seulement de un milliard.
Beaucoup pensent que le TGV arrivera à Nantes et Rennes, mais n'ira jamais à Brest et Quimper. Avec la suppression de la Taxe Professionnelle on se demande où la région peut aller chercher ce financement sans saigner son budget à blanc, couper toutes les subventions aux associations et s'endetter. Augmenter les impôts ? Mais lesquels ? Avec la recentralisation de la fiscalité locale, on se demande comment.
Si ce TGV était finalement construit jusqu'à Brest, on est en droit de se demander si le TGV Bretagne n'est pas l'équivalent du Southern Pacific Railway qui sonna le glas des Indiens des plaines. On est dans la phase finale de la Pax romana, la colonisation finale, celle des populations. Après 400 ans de colonisation administrative, exportant ses ressources et ses hommes comme le faisait une colonie sous la IIIe République, la Bretagne irait vers la «solution finale», c'est-à-dire un apport massif de Franciliens sur son littoral, retraités ou saisonniers, et d'Anglais en Argoat, dans le centre Bretagne. En bref, les jeunes Bretons diplômés vont de plus en plus aller travailler à Paris, à Londres, à New York, à Shangai et à Palo-Alto. La population reste stable, mais dans 50 ans elle aura changé avec toutes les conséquences que l'on devine y compris la disparition complète de notion de nation bretonne ou pour ceux qui n'aiment pas le terme de nation, la disparition totale de l'identité bretonne sauf pour quelques déguisements costumés entretenus au son du biniou et subventionnés par le comité régional du tourisme.
De tous les chiffres donnés par Ollivro, un seul manque : quel est et quel sera dans 50 ans, le pourcentage d'habitants non nés en Bretagne ? Ce chiffre n'existe pas, il semble tabou. Le Gallois Ned Thomas, invité par l'UDB pour une série de conférences, avait lui compris la signification de ce chiffre pour le futur du Pays de Galles et de sa langue galloise. S'il est de 25 % au Pays de Galles, il semblerait bien plus élevé en Bretagne. Un sondage récent fait à la sortie des Champs Libres à Rennes indiquait que 50 % des Rennais interrogés n'étaient pas nés en Bretagne. Il est évident qu'au dessus de 50 % il y a un point de non retour en ce qui concerne la culture locale ou régionale et les droits fondamentaux des Bretons.
La 3e partie du livre s'intitule : Pour une Bretagne belle, prospère, solidaire et ouverte sur le monde. Soit. Mais, parler d'ouverture sur le monde a-t-il un sens quand on est victime d'une colonisation culturelle et humaine d'une telle magnitude ?
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Philippe Argouarch
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