Nicolas Sarkozy
Chef de l''Etat français
Palais de l'Elysée
PARIS
9 décembre 2009
Monsieur le Chef d'Etat,
« Le Monde » vient de publier votre dernière communication en direction des Français, laquelle, sous la plume d'un conseiller de la présidence, vous fait notamment déclarer :
1) « Les Suisses comme les Français savent que le changement est une nécessité »
2) « Le sentiment de perdre son identité peut être une cause de profonde souffrance »
3) « Que répondraient les Français à une telle question ? » (note : celle de la présence de lieux confessionnels supplémentaires).
J'analyse cette communication comme un nouvel incident de procédure dont sont coutumiers les auxiliaires de justice afin de troubler le juge (si je me réfère à votre premier métier) ou comme une diversion d'homme politique rusé afin de troubler les gens (si je me réfère à votre second métier, quand vous avez changé de métier sans changer de personnalité).
En constatant que vous confondez un jury et un peuple, je me réjouis donc pour vous, Monsieur le chef d'Etat : vous n'avez pas changé, et vous vous êtes seulement adapté à vos prétentions. Vous ne supporterez pas les conséquences d'un trouble identitaire, au contraire de millions de vos contemporains.
Cela écrit, « l'identité nationale » est une formule typiquement perverse.
L'identité personnelle existe (elle se résume pour l'Etat à une carte, et s'aborde éventuellement pour chaque personne –sans nécessité de la décrire- en fonction de son histoire, de son immersion dans une société, et de sa nature).
Mais l'identité nationale n'existe qu'en tant que « contre-idéal », en tant que besoin pour certains de résumer l'autre à une identité factice et artificielle, de le conformer.
L'identité sociale existe. L'identité familiale existe. L'identité professionnelle existe. La carte d'identité existe
Mais pas l'identité nationale, sauf dans les livres de Tintin ou les pires des dictatures, avec ou sans bananes.
Les habitudes, les dérives (notamment psychologiques et surtout judiciaires) , les conformismes, les simplismes, existent.
Mais ce sont nos différences qui nous enrichissent, ce sont nos nuances identitaires, et pas du tout notre prétendue appartenance à une «identité commune », à une idéologie qui fait frémir tout républicain .
Saint-Exupéry nous a stimulé dans la recherche de valeurs par ses réflexions. Monsieur Guaino, aussi magnifique en tant que penseur qu'un Michel Sardou, ne le fera jamais. En tant que caricature de penseur, en tant que populiste, il nous saupoudre les yeux par ses propos discrètement charmants, ceux d'une classe bourgeoise rusée par habitude identitaire corporatiste.
Vous tendez à faire assimiler ce consensus mou (qui fait votre indéniable succès, avec la cohésion sociale, qui sent trop la solidarité, un idéal en réalité désavoué par votre clan.
Et vous le faites paradoxalement en restant le symbole de la discrimination généralisée (par votre fascination pour le traitement belliqueux et discriminatoire des destinées, à travers la grande profession judiciaire sur laquelle vous basez vos promesses de changements identitaires) .
« Que feraient les Français devant une telle question » ?
Ils n'iraient pas aux urnes. En posant cette question en forme de poudre, vous violez, Monsieur le Chef d'Etat, nos identités multiples, notre idéal républicain et laïque.
Dans un tribunal, celui qui a moulé votre personnalité, vous seriez débouté.
Dans les urnes, vous seriez déserté, puisque cette questionviole nos valeurs communes.
Vous citez Henri Guaino, qui pose que les troubles identitaires peuvent conduire à de grandes souffrances.
Votre conseiller se trompe. Les troubles identitaires ne peuvent pas conduire à des souffrances morales et psychologiques, elles y conduisent fatalement.
Personne ne vous a entendu dire que les troubles identitaires familiaux (cf les violations identitaires quotidiennes dans les tribunaux d'exception familiale, comparables aux tribunaux de 1792, et que vous flattez régulièrement), que les troubles identitaires professionnels (cf le naufrage identitaire des salariés de France Télécom) sont des plaies qui ruinent les personnalités de nos concitoyens.
Plutôt que de parler de ces sujets fondamentaux dans lesquels l'Etat a pris toute sa part de responsabilité pour en dicter la régulation, vous nous parlez des minarets, du « changement », de l'identité nationale à travers la couleur de la peau ou la croyance mystique...
Votre prédécesseur, déjà, avait milité comme vous pour l'acceptation par suggestion de cette régulation autoritaire du changement. En effet, lors d'un discours du 14 juillet, Monsieur Chirac avait affirmé que les Français devaient accepter de changer plusieurs fois de métier dans leur vie (ni vous ni lui n'avaient vraiment donné l'exemple, soit rappelé en passant).
Ils doivent accepter de changer de travail, de famille, et à présent de patrie, puisque vous-même, en tant que chef d'Etat français, vous nous conditionnez à l'idée que nous devrions répondre si vous posiez une question suisse et que nous devons accepter que nous sommes dans un Etat où tout se régule par le judiciaire, où plus rien ne sera facilité par le social.
Il faut être de très bonne constitution, et savoir accepter votre différence même si elle ne nous enrichit pas ni ne vous honore, pour accepter que vous violez notre Constitution, Monsieur le Chef d'Etat, sous prétexte que vous êtes l'élu suprême d'une nation en proie aux pertes identitaires et aux effondrements sociaux
Pascal Dazin, président de l'Alphabet du Respect des Enfants, médecin du travail
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