"Louisiane", une marque bretonne de résidences mobiles fabriquées à Loudeac

Dépêche publié le 25/04/09 15:55 dans Economie par Bernard Le Nail pour Bernard Le Nail

Parmi les images étonnantes en provenance des États-Unis qui paraissaient dans la presse européenne dans la première moitié du XXe siècle, il y avait celles des gratte-ciels, en particulier ceux de Manhattan, dominés par le mythique Empire State Building (381 m) inauguré en 1931, à une époque où la construction de tels édifices était impensable de ce côté-ci de l'Atlantique. Il y avait aussi des photos, à peine moins surprenantes, de maisons transportées sur des camions d'un bout à l'autre du pays. En Bretagne où la plupart des maisons étaient encore construites en pierre, schiste ou granit, l'idée même de déplacer des maisons, que ce soit sur quelques mètres ou sur des centaines de kilomètres, paraissait une véritable folie...

Or aujourd'hui, sur la RN 24 qui va de Loudéac à Rennes, puis sur la «route des Estuaires», de Rennes vers Caen, Amiens et Calais, et surtout en direction du sud, vers Nantes, La Rochelle et Bordeaux, il n'est pas rare de croiser des convois exceptionnels constitués d'un camion portant une véritable maison, précédé et suivi de voitures-pilotes. Une entreprise de transports routiers de Loudéac, la société Sohier, s'est même fait une spécialité du transport de telles maisons. Certes, ces maisons sont d'un type un peu spécial et elles sont conçues pour pouvoir véritablement être déplacées, mais il ne s'agit pas de roulottes ni de caravanes. Il s'agit bien de véritables maisons, comportant souvent plusieurs pièces, dont une petite cuisine et une petite salle de bain, des maisons aussi grandes que bien des petits pavillons de banlieue ou que bien des villas modestes que l'on peut voir dans des lotissements en bord de mer. Il s'agit de résidences mobiles (en anglais «mobile homes») qui ne peuvent se déplacer toutes seules, mais qui doivent conserver leurs moyens de mobilité (roue et barre de traction). Elles doivent pouvoir à tout moment être retirées par un des 4 côtés de leur emplacement : il faut donc veiller à ce que des accessoires (des nains de jardin, par exemple) ne soient pas un obstacle à leur déplacement. Jusqu'à une superficie de 40 m2 au sol, ces résidences mobiles peuvent être installées sans permis de construire et elles ne sont pas assujetties à la taxe d'habitation...

Il y a 20 ans, l'arrivée de «mobile homes» en Bretagne aurait fait hurler tous ceux qui connaissaient un peu les régions côtières de Grande-Bretagne, de l'ouest de la Cornouaille jusqu'à au nord de l'Écosse, où tant de magnifiques paysages ont été défigurés par des rangées de grosses boîtes à chaussures blanches alignées les unes à côté des autres, sur des hectares et des hectares de terrains dominant la mer. Quelques-unes de ces affreux gros parallélépipèdes rectangles à toit plat ont bien été importés sur le continent dans les années 1990 à une époque où la législation concernant ce type d'habitations n'était pas encore bien établie, mais, heureusement, ils n'ont pas eu le temps de proliférer et les dégâts sont restés limités. Depuis 10 ans, l'implantation des résidences mobiles est très précisément encadrée. Les résidences mobiles (RML) doivent être installées dans les terrains de campings ou parcs résidentiels de loisirs. L'installation sur un terrain privé n'est donc pas envisageable. Toute dérogation est soumise à l'avis du maire (par exemple en attendant de construire une maison). La résidence mobile est destinée à une occupation saisonnière ou temporaire. L'habitation à l'année n'est donc pas envisageable. C'est la raison pour laquelle elle n'est pas assujettie à la taxe d'habitation. Pour les résidences de plus de 40m², un permis de construire est nécessaire, car elles sont assimilées à des HLL (Habitation Légère de Loisirs). Les emplacements qui accueillent ces maisonnettes ont une superficie de 100m² à 250 m² environ pour les campings et 180 m² à 500 m² pour les parcs résidentiels de loisirs, et ils sont souvent noyés dans une abondante verdure assurant à chacun une certaine intimité. Les prix de location vont de 1 400 € à 5 000 € à l'année pour un emplacement. Le tarif diffère évidemment selon le standing. Le prix moyen dans le Finistère est de 1 800 € à l'année.

Plus confortable qu'une caravane et moins cher qu'une résidence secondaire, les résidences mobiles ont depuis quelques années le vent en poupe. Pas de tente à monter, pas de caravane à tracter, le confort moderne comme à la maison et des activités pour toute la famille : l'évolution du camping ces dernières années a été marquée par le succès incontestable des résidences mobiles. Créneau haut de gamme : en bord de mer, à la montagne ou à la campagne, nombreux sont les gestionnaires de campings ou de parcs résidentiels de loisirs à réserver des emplacements à ces petits pieds à terre montés sur roues. Ils les proposent, soit en location, soit à la vente.

Cette clientèle des patrons de campings est le cœur de cible de la société Louisiane, installée dans la zone industrielle sud de Loudéac, en bordure de l'ancienne route de Pontivy. C'est de cette vaste usine que sortent chaque année quelque 3 000 résidences mobiles à destination des campings haut-de-gamme, situés surtout dans la moitié sud de la France.

Louis Danno et son fils Antony, diplômé de l'École supérieure de commerce de Brest, ont repris en 1998 une petite affaire qui s'était lancée sur ce «créneau» nouveau quelques années plus tôt, mais qui était alors au bord du dépôt de bilan. Ils lui ont donné un rapide développement, atteignant un taux de croissance annuelle de 30% et la hissant dans le peloton de tête des fabricants français de résidences mobiles. L'entreprise qui emploie aujourd'hui près de 250 salariés, a ouvert en 2003 un second site industriel à Millau pour se rapprocher de sa clientèle méditerranéenne. Louis et Antony ont été rejoints par Franck Danno, le second fils de Louis, qui a été plus particulièrement chargé de l'animation des services techniques, afin de rester sur le segment du haut de gamme. Ils se sont efforcés de conserver à Louisiane son image de marque, la firme disposant d'un bureau d'études de 5 personnes chargé de concevoir et améliorer en permanence les modèles les petites maisons entièrement fabriquées par l'entreprise. Vendues entre 22 800 et 380 000 euros selon leur confort, elles évoquent le style d'habitat de la Louisiane. Chaque maisonnette offre trois pièces à vivre avec l'équipement sanitaire d'une vraie résidence. « Notre clientèle est composée à 80 % de campings français qui investissent dans les mobile homes pour améliorer les prestations proposées aux touristes », expliquait en 2004 le responsable des ventes. Louisiane est en relation avec quelque 400 propriétaires de camping répartis sur le territoire, principalement sur le littoral. Louis Danno assurait le suivi de la clientèle de cette PMI qui intervient aussi chez les particuliers souhaitant investir surtout dans l'achat d'une résidence secondaire. «Actuellement, nous représentons 12 % du marché français du mobile home», soulignaient alors les dirigeants, ce qui plaçait la société entre IRM, inuméro un du secteur avec 6 000 maisonnettes par an, et Bénéteau qui produisait 2 300 unités annuelles. L'export restait cependant difficile à développer, le transport de ces maisons sur une longue distance étant très coûteux.

Spécialisé dans la conception et la fabrication de résidences mobiles («mobile homes»), Louisiane, basée à Loudéac en Bretagne et à Millau, était le numéro 2 français de son marché. Reconnue comme la marque premium de la résidence mobile, Louisiane a fondé son succès sur une qualité produits incontestable qui prend sa source dans l'intégration de la production et l'application de normes « bâtiment » à la résidence mobile.

En 2005, tout en conservant une part du capital de la société Louisiane Résidences Mobiles, les Danno en ont cédé la majorité à Philippe Carre et Pierre Lalanne, anciens cadres supérieurs du groupe équipementier automobile Plastic Omnium, bénéficiant du concours du fonds financiers Perfectifs Private Equity du groupe Euler Hermes-SFAC et Finadvance (fonds basé à Aix-en-Provence). Ces deux associés ont poursuivi la stratégie de qualité haut de gamme sur laquelle la marque Louisiane a bâti son succès, tout en mettant l'accent sur son ancrage breton. « Nous avons sophistiqué nos produits en qualité, en fiabilité des matériaux et en esthétique, tout en conservant une image de tradition », résume Philippe Carre. Changer d'image, décoration raffinée et très « tendance », couleurs chaleureuses, pièces spacieuses et fonctionnelles, cuisine équipée à l'américaine, grandes baies vitrées, terrasse avec salons de jardins : déclinées en 17 modèles ou réalisées sur mesure, les résidences mobiles qui sortent des deux usines de Loudéac et de Millau n'ont rien de commun avec les vilaines maisonnettes à toit plat qui étaient apparues dans les années 1990, souvent importées d'Angleterre. « Ce phénomène de cabanisation a occulté nos efforts pour améliorer la qualité et le recyclage des matériaux ainsi que l'intégration paysagère. Il est très difficile de faire oublier les mobile homes de première génération. Les élus, en particulier, ont souvent une image négative du camping qu'ils considèrent comme une contrainte. Le camping est pourtant en France le premier mode d'hébergement touristique », souligne Philippe Carre qui n'a pas hésité à se rendre au congrès national des maires de France pour engager le dialogue. Louisiane exporte ses résidences vers de nombreux pays européens, « mais on est limité par le coût du transport », précise Philippe Carre. Quant au marché français, il s'est sensiblement déplacé vers le sud, sur les côtes atlantique et méditerranéenne favorisées par le développement du transport aérien à bas coût.

Louisiane qui se trouvait dans le trio de tête des fabricants français, derrière la société IRM, et au coude à coude avec O'Hara, filiale de Bénéteau, se retrouve aujourd'hui un peu comme David devant Goliath. En effet, en février 2007, la société IRM, qui a été créée en 1992 en Vendée et qui est ainsi le plus ancien des constructeurs français de résidences mobiles (en 17 ans, elle en a fabriqué plus de 80 000), est passé de sous le contrôle du groupe Bénéteau, dont le siège social se trouve à Saint-Gilles-Croix-de-Vie (Vendée) et qui par ailleurs spécialisé dans la construction de bateaux de plaisance et de voiliers de luxe. Coté en bourse, ce groupe a évidemment une puissance financière bien supérieure à celui de la société de Loudéac qui se trouve ainsi contrainte de se surpasser en permanence, tant au niveau de la créativité que qu'à celui de la productivité...

Résidences Louisiane, rue Arthur Enaud, 22600 Loudéac. Tél. : 02 96 66 19 19 www.louisiane- fmi.com


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