Décédé samedi à l'hôpital du Val de Grâce à Paris, dans sa 88e année, Yvon Bourges, unanimement salué comme «une des grandes figures du gaullisme», aura été un des grands hommes politiques bretons de la Ve République.
On peut distinguer quatre grandes périodes dans sa vie :
• la carrière dans l'administration préfectorale, de 1943 à 1948
• la carrière africaine, de 1948 à 1960
• la carrière politique et ministérielle nationale de 1961 à 1980
• la carrière «bretonne» comme président du Conseil régional de Bretagne, de 1986 à 1998.
Né à Pau (Pyrénées-Atlantique) le 29 juin 1921, dans une famille bretonne - Hervé Bourges, né à Rennes en 1933 et qui fut président de TF1 de 1983 à 1987, était un de ses cousins germains - Yvon Bourges avait beaucoup bougé dans sa jeunesse du fait de la carrière militaire de son père, de ville de garnison à ville de garnison. Il avait ainsi fait une partie de ses études chez les Jésuites à Metz. Voici ce que son cousin Hervé Bourges a écrit de leur famille commune : «Ma naissance a lieu bien loin de tout cela, à Rennes, boulevard de La Tour-d'Auvergne, dans une famille traditionnelle, bourgeoise, catholique, imprégnée des références de la Bretagne bien-pensante. Ma famille paternelle est peuplée d'avoués et de notaires, et compte quelques prêtres ou religieux, mon oncle Jacques était officier d'aviation, l'un de mes cousins germains fut haut fonctionnaire dans le corps préfectoral, député, ministre, sénateur, président de Conseil régional... Belle carrière, dont la famille fut légitimement fière. Les Bourges sont pour la plupart de bons vivants, attachés aux plaisirs de la table, campés sur de solides valeurs familiales...»
Après avoir passé son bac, Yvon Bourges avait été étudiant à Rennes, à la faculté de droit, où il avait obtenu sa licence, puis un DES de droit public et également le certificat d'aptitude à la profession d'avocat. À 22 ans, il était entré comme attaché à la préfecture d'Ille-et-Vilaine. Il avait d'abord été au cabinet du préfet Philippe Dupard, qui avait succédé en juillet 1943 à Jean Quénette, nommé à Dijon, puis au cabinet du préfet Roger Martin, arrivé à Rennes le 14 février 1944. Jeune homme très discret et prudent, Yvon Bourges ne fit pas parler de lui, mais les circonstances allaient l'amener à jouer un rôle utile dans la transmission des pouvoirs à la Libération et la continuité du travail de l'Administration. En effet, venant d'Avranches, la 8e division blindée américaine arriva aux portes de Rennes le 1er août 1944. Un dernier convoi de déportés quitta la ville le 3 août, bientôt suivi du gros des troupes allemandes encore présentes à Rennes et la ville fut attaquée, sans véritables combats, dans la nuit du 3 au 4 août. Le 4 août à 9 heures du matin, Victor Le Gorgeu, ancien maire de Brest et commissaire de la République nommé par le général de Gaulle, se présenta à la préfecture et Pierre Herbart, chef de la Résistance, alla arrêter le préfet Roger Martin. Le premier char américain entra dans le centre de Rennes à 10 heures. Le jeune Yvon Bourges veilla avec le personnel de la préfecture à ce qu'il n'y ait aucun pillage, ni destruction de documents durant les heures de flottement qui suivirent le départ des derniers Allemands de la ville, et il aida les nouvelles autorités à se mettre en place. En septembre, il quitta Rennes pour Amiens où il avait été nommé chef du cabinet du préfet de la Somme, puis il devint en mai 1945, directeur de cabinet du préfet du Bas-Rhin, à Strasbourg. En février 1947, à 25 ans, il devint sous-préfet d'Erstein.
Sa carrière africaine débuta en 1948, lorsqu'il fut nommé directeur du cabinet du haut commissaire de la République en Afrique Équatoriale Française, en poste à Brazzaville, puis en 1951 à Dakar, auprès du haut commissaire en Afrique Occidentale Française. En septembre 1956, à 35 ans, il fut nommé gouverneur de la Haute-Volta (actuel Burkina-Faso), à Ouagadougou. En 1958, il était nommé haut commissaire de la République, puis, en septembre, haut commissaire général en Afrique Équatoriale, à nouveau à Brazzaville, jusqu'au 15 août 1960, date de l'indépendance du Congo et de la disparition définitive de l'ancien empire colonial français. Son collègue d'alors à Dakar s'appelait Pierre Messmer. L'un et l'autre allaient jouer un rôle important auprès du général De Gaulle dans la vie de la Ve République née en 1958. De mai 1961 à octobre 1962, Yvon Bourges fut directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur, Roger Frey, et c'est en 1962, à 41 ans, qu'il se lança dans la politique en se faisant d'abord élire maire de Dinard puis, le 25 novembre, député d'Ille-et-Vilaine (6e circonscription, celle de Saint-Malo). Il allait être maire de Dinard jusqu'en 1967 et à nouveau de 1971 à 1998, et député jusqu'en 1980, Jean Hamelin, maire de Dol, son suppléant, siégeant à sa place. Élu sénateur d'Ille-et-Vilaine le 28 septembre 1980, il allait le rester jusqu'en 1998. Yvon Bourges siégea également au Parlement européen de mars 1973 à janvier 1975.
Bien que n'ayant pu faire partie de la France Libre, ni de la Résistance, Yvon Bourges était profondément attaché à la personne du général De Gaulle et le fondateur de la Ve République lui manifesta plusieurs fois sa confiance et sa sympathie. Yvon Bourges entra au gouvernement (Georges Pompidou étant Premier ministre) en 1965 comme secrétaire d'Etat chargé de la Recherche scientifique et des questions atomiques et spatiales, puis secrétaire d'État chargé de l'Information en 1966, puis de la Coopération en 1967, et enfin ministre du Commerce et de l'Artisanat en 1972-73). Il fut ensuite ministre de la défense de 1975 à 1980, sous Valéry Giscard d'Estaing.
Succédant à René Pleven, André Colin et Raymond Marcellin, Yvon Bourges devint en 1986, à 65 ans, le quatrième président du Conseil régional de Bretagne, la région étant devenue une collectivité territoriale à part entière. À la différence de son successeur, Josselin de Rohan, qui appartient au courant souverainiste de l'UMP, Yvon Bourges était profondément attaché à la construction européenne et attaché aussi à la Bretagne. À la présidence du Conseil régional, Yvon Bourges se montra respectueux de l'identité bretonne et favorisa le développement des instruments nés de la Charte culturelle de Bretagne, faisant une totale confiance à son vice-président en charge de la culture, Pierre Le Treut, qui avait déjà occupé ce poste sous son prédécesseur, Raymond Marcellin. À la suite d'une prestigieuse carrière au service de la France, Yvon Bourges était manifestement heureux et fier d'être président du Conseil régional et, lors des vœux adressés en début d'année à l'ensemble des élus et des salariés du Conseil régional, il ne manquait pas de redire ainsi chaque année avec force que c'était un grand privilège et un honneur de servir la Bretagne. Son attachement à la Bretagne était manifestement profond et sincère.
À 76 ans passés, il décida de se retirer complètement de la vie publique et ne se représenta ni aux élections régionales, ni aux élections sénatoriales de 1998. Il menait depuis une existence discrète dans sa villa de Saint-Briac, dont le nom, «Les Almadies», rappelait sa profonde affection pour l'Afrique et particulièrement pour Dakar (c'est en effet le nom d'un cap rocheux du Sénégal, situé au nord-ouest de la presqu'île du Cap-Vert). On a dit qu'il écrivait ses mémoires et, s'il a pu effectivement mener ce projet à bien, elles ne manqueront pas d'être fort intéressantes car il aura été le témoin et aussi l'acteur de nombreux événements de notre histoire contemporaine, comme la décolonisation, la fin de la guerre d'Algérie, la construction européenne et l'émergence des régions. En dehors de recueils de discours et de quelques préfaces, Yvon Bourges n'avait publié qu'un seul petit ouvrage : «L'Europe, notre destin» (Hachette littératures, 1999, 120 p.).
Marié à Odile Fontaine, Yvon Bourges avait eu cinq enfants : Véronique (1944), Sophie (1945), Patrice (1949), Gilles (1950) et Béatrice (1954).
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