Les massacres perpétrés en Bretagne en 1675 par les armées du Roi : un souvenir qui véhicule l'épouvante

Papier publié le 17/02/09 6:58 dans Histoire de Bretagne par Louis Melennec pour Histoire et Identité
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La révolte du papier timbré

Dans les circonstances présentes, il est opportun de rappeler les faits dramatiques qui se sont déroulés en Bretagne en 1675, connus sous le nom de révolte du papier timbré. Madame de Sévigné – je ne sais si vous avez entendu parler de cette grande dame de la littérature, mariée à un Breton –, et d'autres auteurs contemporains, – relatant les horreurs commises par les soldats français déferlant sur la Bretagne sur les ordres de Louis XIV, pour les punir de s'être insurgés contre le même impôt illégal, qu'il avait osé imposer deux fois à la Bretagne, à deux années de distance, alors même que la Bretagne avait “racheté” cet impôt, par le versement au trésor royal, la somme énorme de deux millions de livres, – ont écrit ce qui suit:

“Cette province est traitée comme le pays ennemi…, on ne peut exprimer quels ravages les troupes font dans leurs routes, le bataillon de la Reine, pour aller de Rennes à Saint-Brieuc, a pillé à quatre lieues de sa marche tout ce qui s'est rencontré de maisons entre ces deux villes…”. Duc de Chaulnes, gouverneur imposé à la Bretagne en 1670, in La Borderie, t. 5, p. 531.

“On ne laisse pas de pendre ces pauvres bas-bretons… Dès qu'ils voient les soldats, ils se jettent à genoux, et disent “mea culpa”, c'est le seul mot de français qu'ils sachent”. Madame de Sévigné, 24 septembre 1675, in La Borderie, t. 5, p. 518.

“Les arbres commencent à se pencher sur les grands chemins du poids qu'on leur donne”. Duc de Chaulnes, 21 août 1675, in La Borderie, t. 5, p. 518.

“Ils n'entendent pas seulement la langue française…il sera impossible que l'innocent ne pâtisse pas pour le coupable”. Lettre de l'évêque de Saint-Malo, 1675, in La Borderie, t. 5, p. 520.

“On en a pendu et roué une quantité en ce pays de Cornouailles, particulièrement à Quimper-Corentin”, in La Borderie, t. 5, p. 521.

“Il y a dix ou douze mille hommes de guerre, qui vivent comme s'ils étaient encore au delà du du Rhin” (= dans le Palatinat, où les horreurs commises par les troupes françaises atteignirent le sommet de l'ignominie). Madame de Sévigné, in La Borderie, t. 5, p. 531.

“Ils s'amusent à voler, ils mirent l'autre jour un petit enfant à la broche. Toutes ces troupes de Bretagne ne font que tuer et voler”. Madame de Sévigné, décembre 1675, in La Borderie, t. 5, p. 531.

“Ils ont, logés chez eux, jeté leurs hôtes et leurs hôtesses par les fenêtres, battus et excédés, violé des femmes en présence de leurs maris, liés des enfants tout nus sur des broches pour vouloir les rôtir; (ils ont) exigé de grandes sommes de leurs hôtes, et commis tant de crimes qu'ils égalent à Rennes la destruction de Jérusalem” Journal d'un bourgeois de Rennes au XVIIe siècle, in La Borderie, t. 5, p. 532.

“On a pris soixante bourgeois, on commence demain à [les] pendre. Cette province est un bel exemple pour les autres, et surtout de respecter les gouverneurs et les gouvernantes” (= entendez : les occupants étrangers). Madame de Sévigné, octobre 1675, in La Borderie, t. 5, p. 523.

Enfin, cette conclusion horrible :

“À force d'avoir pendu, on n'en pendit plus (! ! ! !). Madame de Sévigné, in La Borderie, t. 5, p. 525.

Et ceci, bien pire, la marquise étant française en dépit de son mariage avec un breton. Ajustez vos lunettes, car vous n'allez pas croire ceci, qui pourtant est véridique :

“La penderie (sic !), me paraît maintenant [être] un rafraîchissement : j'ai une tout autre idée de la justice depuis que je suis en ce pays : les galériens me paraissent une société d'honnêtes gens qui se sont retirés du monde pour mener une vie douce...…. En huit jours seulement, nous avons entretenu [= administré] la justice. 24 novembre 1675, in La Borderie, t. 5, p. 525.

Et d'ajouter :

“On dit qu'il a 500 ou 600 bonnets bleus en Basse-Bretagne, qui auraient bien besoin d'être pendus pour leur apprendre à parler.

“Les bons pâtiront pour les méchants. Mais je trouve tout fort bon, pourvu que les quatre mille hommes de guerre qui sont à Rennes ne m'empêchent point de me promener dans mes bois, qui sont d'une hauteur et d'une beauté merveilleuses. Madame de Sévigné, octobre 1675, in La Borderie, t. 5, p. 526.

La marquise est citoyenne d'honneur en Bretagne : on la croit bretonne; son nom a été donné à une marque de chocolats. On lui doit, cependant, cette phrase prémonitoire, écrite à sa fille le 23 octobre 1675 : “Vous pouvez compter qu'il n'y a plus de Bretagne”, in J. Cornette, t. 1, p. 624.


La Bretagne survécut, de survie artificielle, encore 114 ans, jusqu'à la merveilleuse révolution des droits de l'homme, celle de 1789.

Les Bretons du bas peuple eurent une meilleure appréciation qu'elle de la situation ; beaucoup payèrent leur audace de leur vie. C'est peu de dire que les hommes envoyés là par le roi de France n'étaient pas aimés, ce qui n'était pas nouveau. Le [[Gauleiter]] français, le duc de Chaulnes, fut traité de “gros cochon”. Ce qui était la vérité : l'évêque de Saint-Malo l'avait accusé d'avoir perçu un pot de vin considérable, de 700 000 livres, soit près de la moitié des impôts de la Bretagne ! On jeta dans le carrosse de sa femme un chat crevé, ainsi que “des pierres dans sa maison et dans son jardin”.

La marquise, amie du couple de Chaulnes, à ce titre bien informée, confirme :

“M. de Chaulnes n'oublie pas toutes les injures qu'on lui a dites, dont le plus douce et la plus familière était : “gros cochon”; sans compter les pierres dans sa maison et dans son jardin …… c'est cela qu'on va punir.

Une autre atrocité fut commise sans tarder. Les soulèvements contre les impôts levés illégalement par le pouvoir français ayant débuté dans la partie haute de la ville de Rennes, on ordonna que les habitants en fussent chassés – soit quatre mille personnes environ –, qu'ils fussent jetés à la rue, et que, pour prix de leur rébellion, “à peine d'être déclarés rebelles aux ordres du roi et poursuivis comme tels, les maisons de la rue Haute soient entièrement détruites”, in La Borderie, ci-après, page 132.

La marquise, assez benoîtement, commente la scène :

“On a chassé et banni toute une grande rue, et défendu de recueillir [les habitants] sur peine de la vie. De sorte qu'on voit tous ces misérables, femmes accouchées, vieillards, enfants, errer en pleurs au sortir de cette ville, sans savoir ou aller, sans savoir de nourriture ni de quoi se coucher”. Madame de Sévigné, lettre du 30 octobre 1675 à madame de Grignan.

La Borderie commente :

“Ce grand déploiement de puissance publique ne servait, avant tout, qu'à recouvrir les entreprises d'une misérable vengeance personnelle… sur ce point, le doute n'est guère possible…. Le premier mobile du duc de Chaulnes fut le désir de se venger de ses propres injures …. Madame la gouvernante, qui avait eu dans l'injure une large part, en voulut une aussi grande dans le plaisir de la vengeance”. La Borderie, id. p.129. Elle arriva à Rennes entourée d'une garde impressionnante : “avec une garde pareille, elle était bien à l'abri des chats pourris”. Id. p. 129.


Ah ! Qu'en ce temps-là la France, éprise de justice, savait se faire entendre !


C'est à quelques kilomètres de mon village natal, dans la Chapelle de Tréminou, près de Pont-l'Abbé, que fut votée par nos malheureux compatriotes, la même année, dans ce qui fut dénommé le “Code paysan”, l'abolition des classes nobles et roturières. C'étaient des doux, des timides. Ils ne proposèrent pas d'installer des “guillotines” à tous les carrefours, punir les récalcitrants, mais que, “Pour affermir la paix et la concorde entre lesdits gentilshommes et nobles habitants desdites paroisses, il se fera des mariages entre eux, à condition que les filles de noble extraction choisiront leurs maris de condition commune, qu'elles anobliront leur postérité, qui partagera également entre elles les biens de leur succession”, (article 5).

Ces gens furent pendus. Les clochers furent abattus. Les cloches furent descendues sur le sol.


Dans la responsabilité de ces atrocités de 1675, le gouvernement de la France avait commis trois fautes très graves au moins :

– L'Édit de 1532 interdisait toute levée nouvelle d'impôts en Bretagne, province “réputée étrangère” ; à titre exceptionnel, un impôt pouvait être accordé par le Pays, à la condition exclusive qu'il fût sollicité aux États de Bretagne, “et par eux octroyés”, (in Bonvallet, p. 98 ). Or, par voie d'édits, en 1672, le pouvoir royal imposa de nouvelles taxes, en particulier sur les actes judiciaires et notariaux – qui devaient désormais être rédigés sur papier timbré –, sur les tabacs, sur les objets en étain, sans solliciter le consentement des États”, in B. Pocquet, Histoire de Bretagne, t. 5, p. 466 et 467.

– Pour s'affranchir de cette authentique extorsion de fonds, dont le pouvoir royal était familier, les États “rachetèrent” les impôts illégaux par le versement à la France d'une somme si énorme – une “rançon”, écrit B. Pocquet, (id., t. 5, p. 468), de 2 millions 600.000 livres (p. 467) – qu'il fallut…. contracter un emprunt pour la payer ! Le gouverneur, de Chaulnes, reçut pour sa part un “pot de vin” de 120.000 livres !

– En 1673, alors que toute la Bretagne se croit débarrassée de ces taxes illégales, et avoir de surcroît payé pour cela, Colbert rétablit les édits, sans même consulter les États, in B. Pocquet, Id., t. 5, p. 481.

La vérité, est que le gouvernement de Versailles, outre les dépenses effarantes de la Cour, avait, d'une manière injustifiée, déclenché une guerre contre la Hollande, dans laquelle il s'était embourbé.

Avec une bonne armée à ses ordres, le tyran transforme sans aucun scrupule ses propres crimes en crimes d'autrui. C'est cela qui s'est passé: sous prétexte de désobéissance, les Bretons ont été punis dans des conditions atroces. Ces faits laissent des traces profondes; ils ne seront jamais oubliés.

Jusqu'à aujourd'hui, plusieurs historiens bretons – dont La Borderie et B. Pocquet, aveuglés par leurs préjugés, n'ont pas hésité à approuver la répression inhumaine de la populace, dont le soulèvement était entièrement imputables aux criminels de Versailles.

Voici, entre autres, cette perle secrétée par B. Pocquet :

  • “La révolte des paysans bretons méritait une répression énergique… cette insurrection à main armée ne pouvait rester impunie… cela n'a plus, du reste, qu'un intérêt rétrospectif de philosophie politique.” (!). B. Pocquet, Id., t. 5, p. 517.

    Heureux Barthélémy Pocquet ! Si vous souhaitez lire quelques autres âneries de la même veine, voyez le mémoire de Louis Melennec sur « Le Rattachement de la Bretagne à la France », mémoire de DEA, page 45. Réjouissant ! Ici en PDF.



    Bretons, allez vous cesser enfin de geindre, vous que des âmes charitables ont élevés à la lumière de la Civilisation ? ? ? ? Bien sûr, on vous a “cogné” dessus; mais ne dit-on pas que “qui aime bien châtie bien” ? La vérité est que la France a démontré qu'elle a toujours aimé les Bretons d'amour tendre.

    Louis Melennec

    (voir le site) = le blog de Louis Melennec.
    (voir le site) = des “Chroniques de Louis Melennec”.

    Nota:
    La Borderie : Arthur Le Moyne de La Borderie (Vitré 1827-1901) ou [[Arthur de La Borderie]]. Histoire de Bretagne. Réimpression Mayenne, 1975. 6 vol.. Vol. 4, 5 et 6 par B. Pocquet.
    B. Pocquet : Barthélémy-Amédée Pocquet du Haut-Jussé. Histoire de Bretagne. Les vol. 4, 5, 6 de l'ouvrage commencé par Arthur de La Borderie. Mayenne, réimpression 1998.
    J. Cornette : Joël Cornette. L'Histoire de la Bretagne et des Bretons. Seuil, 2005. 2 vol.


  • Vos commentaires :
    Vendredi 17 mai 2024
    1675 aurait bien pu se reproduire en 1720 ! Cher Monsieur. J'essaierai de produire, en imitant votre bonne présentation des témoignages, ceux que je connais sur la mise-à-sac de Rennes en 1720 par les troupes royales françaises, qu'on continue de présenter comme un accident ! Dalc'hit mat, atav ... et à une autre fois. GH. D. T.
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