Et voilà la crépidule, pour les crédules ! Celle-là on ne l'attendait pas : envahisseur des fonds, dernier résidu des produits de la mer, crepidula fornicata (mais qui comprend encore le latin ?) avait tout pour lui interdire de figurer dans nos assiettes : son nom ridicule, ses mœurs douteuses, la petitesse de son corps et son absence de goût. Nous le savons, nous en avons mangé, et même dans une brasserie de Trouville, infiltrée dans les bulots. Déjà qu'elle nous est pesée (comme éco-taxe peut-être ?) sur les marchés avec les coquilles Saint-Jacques…
Voici que Ouest-France, le 8 octobre 2008, nous apprend que toutes ces objections sont balayées : nous mangerons des crépidules. Le nom ? On le change pour un autre plus sexy : kokiaj, marque déposée. La petitesse de son corps de gastéropode ? On parlera de noix, comme les Saint-Jacques ; bien sûr ça n'a rien à voir : la Saint-Jacques est un bivalve, la crépidule est un gastéropode. Ce n'est pas la même chose, mais après tout, les Saint-Jacques qu'on nous vend sont presque toujours des pétoncles. - Ah les pétoncles noirs, excellent ! - Vous n'y pensez pas ! Les pétoncles patagons sont bien moins chers et font des Saint-Jacques acceptables. Ainsi de mot à mot, par glissements sémantiques, on ne sait plus quoi est quoi, sinon qu'il s'agit de fruits de mer surgelés et pas chers. Bref des kokiajs.
Et le goût ? Comme tout ce qui n'en a pas vraiment, on lui donnera un goût de noisette, à cette crépidule. Pauvre noisette (1) ! Alors, pourquoi Ouest-France nous donne t-il cette demi-page ? Pour nous recommander de remplir de ces crépidules nos seaux de grandes marées ? Peut-être est-ce pour faire œuvre de salubrité publique, alors bravo !
Mais non, pas du tout, personne ne nous demande d'aller les pêcher : c'est de coquillages surgelés qu'il s'agit, et que nous supposerons Produits en Bretagne (signalons au passage que la crépidule n'est pas arrivée en 1944, mais dès la première guerre mondiale et à notre avis de manière sporadique vers 1900 dans des livraisons d'huîtres (2). Et, bien sûr, pour faire digérer la crépidule, il y a l'inévitable caution des Chefs qui se régalent. À quand la Confrérie des Toqués de la Crepidula fornicata (3) ?
Un conseil : allez au bord de la mer. Ouvrez et mangez une crépidule. Décollez et mangez une bernique. Et vous ferez la différence. Voilà pour le cru. Pour le cuit, comparez la crépidule et son cousin le bulot. Il n'y a pas photo ! Même le bernard-l'ermite est meilleur.
(1) Sur la pauvre noisette, voir «Fulminaires 1» de Bleuzen, Éditions La Truite de Quénécan ;
(2) Voir une phrase prophétique sur la crépidule dans «La mer sur un plateau» de Gilles et Bleuzen Du Pontavice, Éditions Coop-Breizh ;
(3) Voir «Confréries en Bretagne» de Bleuzen Du Pontavice, Éditions Coop-Breizh.