Installé aux Philippines, Jacques Branellec, un pilote de formation, a quitté la Bretagne il y a environ 40 ans pour travailler à Tahiti pour Air Polynésie. Il créera là-bas sa première ferme perlière pour produire les premières perles noires de Tahiti.
Il la revendra et partira pour un tour du monde à la voile avant de s'installer dans l'archipel de Palawan aux Philippines. Il se lance alors dans l'élevage de la perle dorée - une perle naturelle produite par des huîtres géantes dont il est le premier à mettre au point la culture. Il est aujourd'hui devenu le premier producteur de perles des Philippines et un des trois premiers producteurs mondiaux.
Basée à Manille, la société Jewelmer de Jacques Branellec emploie un millier de personnes travaillant au sein de ses sept fermes perlières. Celles-ci produisent 800.000 perles par an dont certaines peuvent se vendre jusqu'à 2.000 €.
Concerné par la dégradation de l'environnement et la pollution des mers, Jacques Branellec a investi localement dans des écoles, la formation, et des alternatives aux pratiques désastreuses comme la pêche à la dynamite ou la déforestation. Il a aussi créé une fondation Save Palawan seas foundation, et un centre de recherche agricole. Il aide aussi les pêcheurs à se procurer des bateaux. En gros, Jacques Branellec réinvestit dans sa communauté et ces îles qui lui ont tant donné.
En plus d'être un travailleur de la mer et un capitaine courageux, il y a deux principes qui semblent façonner la vie de Jacques Branellec : le respect des cultures des autres et le respect de l'environnement. Les deux bien sûr découlent l'un de l'autre.
Depuis longtemps sensible à l'état de la planète, il est lui-même concerné directement par le réchauffement climatique puisque l'augmentation de la température de la mer de Chine et de la mer de Sulu mettent sa production de perle en danger — l'obligeant à cultiver ses perles toujours plus en profondeur.
Audité par le Sénat en 2006, Jacques Branellec n'en a pas pour autant oublié sa Bretagne natale. À l'occasion de sa nomination comme citoyen d'honneur de sa ville natale, Saint-Pol-de-Léon, il a déclaré au journal Le Télégramme une phrase qui résume bien cette diaspora bretonne capable d'une étonnante intégration sans jamais oublier ses origines « Un Breton ne s'installe jamais définitivement. La seule fois où il le fait, c'est au cimetière ».
ABP : Quand on pense aux Philippines, les Bretons pensent surtout au destin tragique de Paul Proust de La Gironière, raconté dans le livre étonnant « Aventures d'un gentilhomme breton aux îles Philippines »(1). Vous, par contre, semblez avoir réussi, le ciel ne vous est pas tombé sur la tête comme pour le malheureux Paul ?
J. Branellec : Le ciel m'a plutôt souri et les flots du Pacifique et de la mer de Chine ne m'ont pas encore englouti !
ABP : Dans l'émission de télévision Thalassa, récemment, vous avez dit que vous avez découvert Palawan au cours de vos navigations à la voile. Êtes-vous parti autour du monde dans le sillage de Le Toumelin sur son Kurun parti du Croisic juste après la guerre ? Quand avez-vous quitté la Bretagne ?
J. B. : La première fois en 1970 pour Tahiti. Puis une deuxième fois en 1977, à la voile pour un tour du monde. 18.000 milles marins, deux ans de navigation avec des escales multiples. Haïti, Panama, Galapagos, Marquises, Cook, Tonga, Fidji, Nouvelles Hébrides, Calédonie, Australie, Nouvelle Guinée, Palau, sud des Philippines.
ABP : Comment vous est venue l'idée de vous lancer dans la culture des perles ? Pourquoi Palawan ?
J. B. : L'envie de créer une activité dont les Tahitiens seraient fiers après la démoralisation qui avait suivi les expérimentations nucléaires sur leur territoire. Tahiti, avec la perle noire, avait précédé mon expérience avec la perle dorée des Philippines.
ABP : Palawan est-il vraiment un des derniers archipels qui n'a pas encore été atteint par les aspects négatifs de la civilisation ? Avez-vous été ensorcelé par cette beauté magique, ces eaux limpides, paradis de la plongée ?
J. B. : En 1979, peu de population, énormément de lieux vierges, un retour en arrière, pas de pollution. Aujourd'hui, beaucoup de changements, la planète accuse ses souffrances.
ABP : Êtes-vous actifs dans la lutte contre la pêche à la dynamite et la culture sur brûlis ? Comment ça se passe ?
J. B. : Nous organisons, avec les municipalités, des garde-côtes volontaires qui patrouillent 24 heures sur 24. Nous fournissons fioul, bateaux, moteurs, logistique. Également, nous protégeons les pêcheurs traditionnels et encourageons toutes formes d'aquaculture non extractive, en particulier la culture des algues.
ABP : Vous êtes un Breton de la diaspora et, comme beaucoup d'expatriés bretons, avez-vous découvert votre bretonnitude à force d'être séparé de la Bretagne ?
J. B. :Un Breton est intronisé pleinement lors de son expatriation. La modestie et la simplicité de notre caractère nous permettent de nous faire accepter et intégrer par des cultures différentes tout en conservant notre originalité.
ABP : Que représente la Bretagne pour vous ? Vous manque-t-elle ? Y revenez-vous de temps en temps ? Où êtes-vous né en Bretagne ?
J. B. : La Bretagne est une de mes sources d'inspiration et aussi une terre de réassurance. Comme la Bretagne est toujours présente à mon esprit, non seulement comme une terre d'origine mais surtout comme une source d'inspiration et une forme de pensée, elle est toujours avec moi, quel que soit le pays où je me trouve ! J'y reviens tous les étés à Saint-Pol-de-Léon.
ABP : Maintenant que vos enfants sont prêts à prendre la relève de vos fermes de perles, pensez-vous revenir définitivement en Bretagne ?
J. B. : Non, car je suis bien trop jeune pour arrêter et j'ai de plus en plus de projets. Surtout centrés autour du développement durable et de la protection de la mer, du corail et des forêts.
ABP : Avez-vous des plans pour réinvestir au pays ou aider les causes bretonnes comme l'enseignement et la sauvegarde du breton ?
J. B. : Je suis tellement engagé en Asie que je me concentre actuellement sur l'organisation d'échanges entre des organisations basées en Bretagne et des fondations qui s'occupent de communautés aux Philippines. Nous avons un projet d'échanges avec le Lycée Agricole de Brehoulou, à Fouesnant pour le développement de communautés indigènes.
ABP : Si le réchauffement climatique continue, pouvez-vous migrer vos fermes de perles au nord de Luzon ? Autre part où la température de la mer serait plus adéquate pour la culture des perles ?
J. B. :Le déplacement de fermes perlières depuis des zones peu peuplées vers des régions développées n'est pas envisageable, sans compter que les structures sont lourdes. Il faut au moins dix ans pour amortir.
ABP : Avez-vous épousé une Philippine ? Parlez-vous le tagalog en plus du français et de l'anglais ? Connaissez-vous le breton ?
J. B. :Je suis toujours grand père célibataire. Je parle couramment le philippin, le tahitien, l'espagnol, l'anglais, le français et balbutie en japonais. Le breton n'est malheureusement pas pratiqué sous nos latitudes asiatiques.
ABP : Y a-t-il d'autres Bretons aux Philippines en dehors de Louis Paul Heussaf que nous avons interviewé en 2004 ? (voir notre article)
J. B. : Oui, Hubert d'Aboville et plein de jeunes. J'emploie deux Morlaisiens, Johan Noirel et Anne Solène Porhel. Il y a une dessinatrice de bijoux, un biologiste de Loctudy, Guy Vallet qui est un ancien pilote du Cambodge, et Ronan Mage, le directeur d'une boîte française d'aliments pour chiens.
Propos recueillis par Philippe Argouarch
(1) Éditions Les Portes du Large.
■