Pierre-Ange Le Pogam : profil breton d'une success story du cinéma

Interview publié le 25/07/08 8:18 dans Cultures par Solange Collery pour Solange Collery
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Pierre-Ange Le Pogam. (Photo Thierry Caro).

Europacorp, créé en 2000 par Luc Besson et Pierre-Ange Le Pogam, est l'un des rares studios de cinéma européen à la fois industriel et indépendant, rentable et financièrement ambitieux.

Bénéficiaire depuis sa fondation, la société a été introduite en bourse en 2007 alors qu'elle réalisait un chiffre d'affaires de 158,7 Millions d'Euros et un bénéfice de 8,2 Millions d'Euros. 55 films ont été produits ou co-produits par EuropaCorp qui regroupe l'ensemble du ciné-business de Luc Besson (production / distribution de films, édition / diffusion de DVD via Fox Pathé Europa, édition de livres, gestion de droits cinématographiques et audiovisuels, ventes internationales, prestations techniques diverses, etc.) Le catalogue compte plusieurs succès populaires, de la saga des Taxi aux films d'action (Ne le Dis à Personne, Le Transporteur, Ong Bak) en passant par les films de genre (Michou d'Auber, Quand j'étais chanteur, Les Rivières pourpres2) et les films d'animation (Arthur et les Minimoys).

Par ailleurs, Luc Besson et Pierre-Ange Le Pogam seront à l'origine de la construction de la Cité du cinéma, sur 6,5 hectares à Saint-Denis (Seine- Saint-Denis), et d'un projet de multiplexe dans le quartier des docks de Marseille. Les deux projets prévus pour 2011 sont des projets phares pour le cinéma en Europe.

Pierre-Ange Le Pogam a grandi à Lorient et nous lui avons posé quelques questions.

- Votre enfance lorientaise vous prédisposait-elle au cinéma ?

- Pas de façon évidente, mes premières expériences humaines se sont déroulées entre la boutique de ma mère et la ferme de mes grands-parents. Une enfance bretonne classique avec un grand-père fermier et un grand-père pêcheur sur les thoniers. À l'adolescence, j'ai découvert le théâtre amateur, le cinéma, les premiers films d'auteurs comme Roméo et Juliette et Orange Mécanique. Depuis, cette passion ne m'a plus quitté.

Je vivais très heureux à Lorient entre mes copains et mes premiers projets de business. Je donnais des cours de français ou de maths aux enfants, dans les campings. Je travaillais comme docker sur le port de Lorient et je faisais toujours preuve de curiosité à l'égard de tout ce qui pouvait exister en dehors de Lorient. Je ressentais notamment le besoin de maitriser parfaitement la langue anglaise, me disant qu'un jour je souhaiterais voyager de manière efficace.

J'ai ainsi rencontré un Écossais qui s'ennuyait un peu, en famille, sur la plage de Lomener qui m'a ensuite invité à les visiter en Écosse. De retour de ce périple, j'ai ensuite senti que la vie à Lorient ne correspondait plus aux pulsions et ambitions qui m'habitaient. Le tissu associatif en région ne m'attire pas. Je suis un solitaire qui aime la ville, les aventures fortes, les nouveautés.

Je veux garder en moi les forces de la mer et de la campagne comme un éternel romantique, je veux les mériter, prendre des risques. Quand je regarde ce pêcheur qui passe 4 heures sur un rocher face à la mer, je le vois magnifique, comme une image admirable. Je reçois cette énergie qui me donne envie de faire autre chose de ma vie.

J'ai donc décidé d'abandonner mes études. Je suis parti à Paris sans un sou, sans relations, avec l'intention d'approcher au plus vite le théâtre et le cinéma. Incroyablement maladroit, j'allais voir des directeurs de théâtre en leur demandant de m'embaucher et je prenais très mal le fait que l'on puisse me faire attendre.

- Les premières années à Paris ont-elles été difficiles ?

- Oui, je cherchais mon chemin. Je dormais chez les uns, chez les autres... Je trouvais toujours quelques petits boulots. Je sentais que cette période était un apprentissage accéléré de la vie. J'ai bien dû voir 500 films la première année. J'y trouvais un réservoir inépuisable d'histoires, d'expériences humaines et de culture. Il y avait tant de points de vue différents sur le monde dans ces films. Ils m'initiaient à tout, même à la littérature.

Les cinémas de Paris remplaçaient les cafés de Bretagne. J'y faisais des rencontres. Les caissières devenaient mes amies et je rentrais gratuitement sur un échange de sourires. La multiplication des hébergements transitoires, des lits d'un soir et des tendresses de fortune ont fini par provoquer un passage à vide qui a déclenché mon démarrage professionnel.

La directrice d'une agence linguistique cherchait un concept de vente fort et efficace. Je l'ai trouvé, nous avons fait affaire et j'ai parcouru la France et ses meilleurs lycées, en suivant de près les commerciaux. Les résultats ont été au rendez-vous, et ce fut mon premier beau salaire.

- Votre carrière « Cinéma » s'est rapidement mise en place. Comment se sont construits vos choix stratégiques, votre vision à la fois des affaires et du cinéma de qualité ?

- Ma carrière cinéma a commencé par un coup de bluff. Je suis allé voir le propriétaire de mon cinéma habituel et je lui ai proposé de développer à fond son affaire : « Si je ne fais pas l'affaire, tu me vires ». Nous avons réussi à multiplier les événements (débats avec les artistes, festivals), et l'augmentation du chiffre d'affaires a suivi. Je me suis alors lancé à fond dans le travail pour me différencier des autres et j'ai voulu apprendre tous les métiers du cinéma, un par un, du développement à la vente, en passant par le marketing et la production. J'ai été rapidement sollicité.

Dès 1976, je devenais directeur des films Molière. Nous avons acheté Mean Streets de Scorsese, et Cria Cuervos de Carlos Saura. J'ai alors commencé à mener la bataille de la diffusion du cinéma d'auteur dans les circuits commerciaux. Cela m'a amené à rencontrer les dirigeants de Pathé et de Gaumont. Ils voulaient m'attirer pour ma passion ainsi que ma connaissance de la distribution sur le territoire français.

J'ai choisi de travailler pour Gaumont parce qu'il faisait des films alors que Pathé ne possédait que les salles, à cette époque. En 1981, je suis devenu patron de la programmation de toutes les salles Gaumont et Pathé France. Pour être efficace dans cette fonction, il faut savoir choisir les films qui vont marcher et ceux qui amélioreront la qualité globale de notre offre. Le souci de promouvoir la qualité est pour moi comme un sacerdoce.

De 1985 à 1991, Nicolas Seydoux et Daniel Toscan du Plantier, patrons de Gaumont, m'ont demandé de diriger la distribution des Films Gaumont, les achats de films, et le marketing. En 1992, Disney a voulu m'embaucher comme Président France. Je n'ai pas voulu devenir salarié d'une société américaine et j'ai provoqué leur association avec Gaumont pour pouvoir m'en occuper. C'est ainsi qu'est né Gaumont Disney Buenavista, que j'ai dirigée pendant 5 ans.

En 1997, je rejoins à nouveau Gaumont avec la fonction de Directeur Général Adjoint de Gaumont, où je prends en charge tout le business du cinéma, ajoutant à mon expérience le secteur vidéo, les relations avec les chaines de télévision, et tout le secteur international.

J'ai quitté Gaumont en 2000, pour créer EuropaCorp avec Luc Besson. J'emmenais avec moi tous mes souvenirs et mes expériences avec des cinéastes comme Jean-Jacques Beineix (37°2 Le Matin), ou Francis Veber (La Chèvre, Les Fugitifs, Le Diner de Cons), Jean Marie Poiré (Opération Corned Beef, Les Visiteurs), Maurice Pialat (A nos Amours, Van Gogh, Sous le Soleil de Satan), Alan Parker ( Angel Heart), mais aussi Marche à L'Ombre, Le Péril Jeune, Le Roi Lion, Aladdin, pour ne citer que ceux là, et bien sûr tous les films de mon ami Luc que nous avons faits ensemble chez Gaumont (Subway, Nikita, Léon, Atlantis, Le Cinquième Elément ou Jeanne d'Arc).

- Dans les années 2000, avec Europacorp et le projet de la Cité du Cinéma en Seine Saint-Denis, vous devenez avec Luc Besson une success story du cinéma français.

- J'ai vu le premier film de Besson Le dernier combat au Festival d'Avoriaz. Je suis allé le voir tout de suite, en lui disant : « J'ai adoré, j'aimerais qu'on soit copains ». Depuis, on s'est arrangé pour faire ensemble tous ses films. Lorsque nous créons EuropaCorp, en 2000, nous avons l'idée de nous comporter de manière plus moderne sur l'ensemble des métiers. Nous souhaitons écrire une belle page de l'histoire du cinéma, en conservant les belles valeurs du cinéma français, et en ajoutant, à l'instar des studios américains, les méthodes du cinéma anglo-saxon. Notre objectif est clairement de créer un lieu très professionnel pour que le commerce de tous les films se déroule de la manière la plus efficace afin de donner naissance à la meilleure créativité.

Avec Luc, nous avons ainsi élaboré le projet de la cité européenne du cinéma en Seine Saint-Denis qui ouvrira en 2010. Ce sera un lieu de vie fondamental pour le cinéma. C'est là que s'inventera le cinéma. C'est unique en Europe. Il y a bien les studios Pinewood en Angleterre ou Cinecitta en Italie, mais ils datent des années 50. Toutes les compétences de la chaîne de production cinématographique seront réunies pour réaliser un film de A à Z, sans sortir du site. Il y aura notamment 9 plateaux de tournages de 600 à 2000 m2 répartis sur 13 000 m2, des ateliers pour les décors, et des unités de travail adaptées à tous les métiers.

- Et la Bretagne, votre port d'attache ?

- Je suis habité par une passion à la fois commerciale et artistique. Je veux découvrir toujours plus de nouveaux scénarii, de nouveaux talents, rencontrer des hommes, des artistes, des nouveaux publics. Mais la Bretagne demeure mon port d'attache. L'idée que je peux retourner dans cette terre d'origine, me soutient beaucoup.

Peut-être y ai-je appris à être plus impressionné par des gens simples qui savent réfléchir que par ceux qui sont dans la lumière. Je me souviens en particulier d'un prêtre ouvrier, d'un copain pêcheur, et d'un professeur de lettres, habités tous trois par la même lucidité et le même désir de faire progresser les autres. Ces gens là m'impressionnent plus que les stars médiatisées, ce sont eux mes stars, les gens de coeur.

Aujourd'hui être breton, c'est partager une force, avec d'autres d'ailleurs comme les Gallois, les Écossais, les Irlandais ou les Galiciens. Nous sommes tous traversés par une capillarité commune, et sommes porteurs d'une certaine vision du monde, fraternelle. Bien sûr, j'aime la Bretagne profondément, ne m'interdisant pas des escapades dans d'autres contrées. J'aime notre climat, nos paysages puissants, notre mémoire, et je crois beaucoup en notre avenir. Nous commençons à mieux connaître les hommes qui vivaient déjà là, entre 12 000 et 4 000 ans avant nous. Leurs traces sont impressionnantes. Ils savaient respecter et honorer les forces de la terre et de la mer. Et s'ils étaient plus intelligents que nous ne le sommes devenus ? ■

Co-publié dans L'Interceltique, le magazine du festival interceltique de Lorient, été 2008


Propos recueillis par Solange Collery


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