Lettre au Souvenir français du pays d'Auray

Lettre ouverte publié le 2/07/08 3:18 dans Histoire de Bretagne par Michel Herjean pour Michel Herjean
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Le boyau de la mort. Dixmude. Flandres de l'Ouest - Belgique. Photo LimoWreck WikiCommons. Licence de documentation libre GNU. Au centre la plaque objet du litige.


À Souvenir Français Pays d'Auray

Monsieur le Président,

Étant enseignant(*), j'ai pris connaissance du courrier annonçant les mises à jour de votre site.
Je tiens à me présenter tout d'abord afin d'éviter tout « qui proquo » ou amalgame.

Je suis enseignant dans l'Éducation nationale, professeur de breton, alréen de naissance. J'ai, ces dernières années, travaillé à l'école J. Rollo, et eu l'honneur d'être dans la classe de M. Rollo, avec la plaque saluant sa mémoire. (Avant l'école neuve).

Par ailleurs, je milite, sans être encarté, pour la langue bretonne depuis presque 30 ans. Ma grand-mère, Mme Le Trécasser, tenait le Café des ouvriers, près de la gare, et refusait autant qu'elle le pouvait, de servir les soldats allemands dans son bistrot.

Elle leur parlait en breton, sa langue maternelle, en les envoyant sur les roses, au moins. Son fils, décédé, M. Joachim Le Trécasser, mon oncle donc, a été l'un des survivants du Maquis de Saint Marcel. Mon parrain, M. Le Bagousse a fait la guerre d'Algérie. Je n'étais pas né en 45, mes parents étaient très jeunes.

Je suis donc, de fait, un de ces « bons hussards noirs de la République », chargé d'éduquer les enfants de Bretagne et de veiller surtout à ce qu'ils ne connaissent pas la langue de leurs parents, grands-parents... et encore moins l'Histoire de leur « région ».

J'ai aussi travaillé longtemps en classe bilingue, breton-français, et donné des cours aux adultes le soir, pour une population désireuse de se réapproprier la langue bretonne que l'école et les institutions ne leur ont pas permis de faire, dans un cadre démocratique, puisque 75 % des Bretons souhaitent que la langue bretonne vive et se développe.


Je me permets de vous écrire, car nous sommes nombreux, très nombreux, à demander que les Monuments aux Morts, qui « fleurissent » nos communes, accueillent, ce serait la moindre des choses, non seulement le drapeau breton, mais que les plaques textes soient systématiquement mises, bilingues, breton-français, par respect, à titre de réparation historique, et au nom du ¼ de million de Bretons qui pratiquent encore et pour longtemps, on peut l'espérer, la langue bretonne.

La plupart, pour ne pas dire la grande majorité des « poilus » bretons étaient bretonnants. Ils n'ont appris le français que dans les tranchées.

Il ne s'agit pas d'idéologie, mais d'un fait avéré. La première guerre mondiale ayant été, au-delà des millions de victimes, le premier grand choc linguistique qu'a dû subir la Bretagne, et ceci de façon particulièrement active (dans les tranchées).

Le site de Sainte Anne d'Auray, entre autres, se passe de commentaires. Mon grand-père a été gazé durant la première guerre mondiale et est décédé quelques années plus tard. Vous n'êtes pas sans savoir le débat actuel, sur les langues « régionales ».

Je pense que vous avez l'intelligence de comprendre que la reconnaissance demandée, sur laquelle la France est la plus mauvaise élève européenne ou presque, tourne à la farce grotesque : l'Académie française, entre autres, ramène les députés au rang d'observateurs.

La politique linguistique de l'État français ne se fait donc plus par l'intermédiaire des citoyens, des élus … mais par des lobbies ultra-jacobins que nous connaissons bien, qui, on se le demande, pourraient déclarer que « le ciel est vert », pour que cela devienne une vérité. En 1870, lors de la triste affaire de l'armée de Bretagne, Conlie, 70 000 Bretons sont morts de faim et de froid, parqués dans un camp. Sans doute faisaient–ils peur ? À qui ?

Le général commandant le camp, se félicitant d'entendre les soldats déclarer : d'ar gêr jeneral, d'ar gêr ! Et ceci illustre aussi le mépris et le refus toujours actuel de reconnaître, au moins, le prix du sang versé. Les soldats de Conlie ne souhaitaient pas aller à la guerre : mais disaient, en breton : à la maison !!!

Combien sont morts en 14-18 pour avoir mal compris les ordres, puisque n'étant pas francisants, combien ont été abattus d'une balle dans la tête en 39-45, pour avoir dit Ya (oui, en breton. Pas de chance pour nous, cela correspond aussi au oui allemand).

Lors de la deuxième guerre mondiale, la Bretagne a été très majoritairement une terre de résistance. Premiers maquis de Saint-Nazaire, île de Sein … et tous les résistants ou actes de résistance, que l'on ne peut citer ici.

Bien sûr, la tarte à la crème on la connaît : une soixantaine de militants se sont perdus dans d'illusoires comportements collaborationnistes. Personne ne le nie. Mais depuis 60 ans, cet « épiphénomène », ces actes servent à toutes les occasions et dans tous les contextes pour nous dénier un droit culturel et linguistique.

Je me suis personnellement fait traiter de collabo, un jour à Quimper parce que je vendais une revue bretonne et en breton. La personne avait sans doute des problèmes en calcul : vu mon âge, il était mathématiquement impossible que je sois né en 45 !!! Je crois que le débat qui surgit actuellement dans les médias, mais que nous connaissons parfaitement depuis des décennies, va obliger chacun à lever son voile.

Certains hommes politiques se revendiquent maintenant ouvertement du jacobinisme, idéologie pourtant tant décriée par nombre de personnes et d'institutions ou de collectivités. Mon souhait (et je me permets de parler au nom de beaucoup de gens, même non-bretonnants), pour en revenir aux faits, n'est pas « révolutionnaire » — il ne portera pas atteinte objectivement à la République, quoiqu'en disent certains, il ne balkanisera pas non plus la France — est de voir flotter le drapeau breton sur les monuments aux morts de Bretagne, ou tout au moins dans notre région alréenne, de voir des plaques commémoratives en breton sur les différents sites. Au nom de nos morts, pour leur mémoire et le respect de ce qu'ils étaient pour la plupart, des paysans bretons qui pour bon nombre d'entre eux, ne parlaient pas le français avant certains conflits.

Au nom de cette grande idée que l'on appelle Démocratie. Qui n'est pas un concept figé à une époque, mais par nature, un concept évolutif. Je sais pertinemment bien que, même si vous vous montrez sensible à cette demande, vous allez rencontrer des difficultés dans vos associations. Il n'y a rien de plus difficile que de changer des mentalités ou évacuer des idées reçues.

En 2006, ayant participé à la délégation de la Ligue Bretonne des Droits de l'Homme, qui n'est pas là pour s'opposer à la L(F)DH, contrairement à ce qui se dit une fois de plus, nous avons, lors d'une cérémonie officielle organisée par la ville de Dixmude (Flandres / Belgique) apposé une plaque en breton et français en l'honneur des fusiliers marins-bretons de l'Amiral Ronarc'h. La veille de la cérémonie, à laquelle les élus flamands devaient participer, un représentant du Souvenir Français (un militaire), a cru bon de faire intervenir, en territoire étranger, via les institutions adéquates, un courrier demandant l'annulation de cette pose de plaque commémorative. Argumentant (le mot est sympathique, pour ne pas dire plus), qu'aucune plaque ne pouvait être déposée si elle comportait des éléments dans d'autres langues que le français, en l'occurrence le breton. Au-delà de cette incursion dans la volonté de pays amis et ayant particulièrement souffert de l'Histoire, cela marque, encore de nos jours, un autoritarisme, pour ne pas dire un « nationalisme » que l'on nous reproche souvent. (Sic !)

L'effet ne s'est pas fait attendre : la mairie de Dixmude (dont l'une des rues porte le nom de l'Amiral Ronarc'h), ne s'est pas laissée impressionner. La cérémonie a eu lieu. Avec d'autant plus d'importance que des députés flamands, choqués de cette incursion, se sont personnellement déplacés. La plaque a symboliquement été déposée. La question de la « propriété » du lieu était le seul sujet de polémique.

Des milliers de gens passent chaque année dans ce fameux « boyau de Mort », tenu par des Bretons. Ici, des centaines des milliers de personnes passent sur nos lieux de « mémoires », chaque année, sans compter les habitants. La seule question valable, en ce début de XXIe siècle, est de savoir ce que l'on souhaite donner aux générations futures : une reconnaissance démocratique ou un « nationalisme » frileux replié sur lui-même. La réponse ne se trouve pas qu'à Paris : elle est aussi ici, entre nos mains.


Respectueusement,
Patrick Corlay
Membre de la LBDH

56 400An Alre / Auray

(*) L'école de l'instituteur avait reçu un courriel du Souvenir Français pour informer de la mise à jour du site internet.


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