Reparution prochaine de Tirant le Blanc ou les exploits légendaires d'un chevalier breton à traver

Chronique publié le 18/06/08 11:42 dans Cultures par Bernard Le Nail pour Bernard Le Nail
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“Tirante el Blanco”. Éd. en castillan ; 1511. Frontispice.
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“Tirante lo Blanch”. Éd. originale de 1490 en valencien. Dernière page avec le colophon (achevé d'imprimer).
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“Tirante lo Blanch”. Première page avec une “réserve” pour enluminure.
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Nantes. Place Tirant lo Blanc.
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“Tirante el Blanco contado a los niños”. Éd. en castillan. Barcelone. Edebé ; 2005. (Tirant le Blanc raconté aux enfants).
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“Tirant le Blanc”. Éd. Anarchasis ; Toulouse ; 2003.

«On m'appelle Tirant le Blanc parce que mon père était seigneur de la Marche de Tiranie, qui est voisine de l'Angleterre par la mer, et que ma mère était la fille du duc de Bretagne et se prénommait Blanche. C'est pour cela qu'ils ont tenu à ce que je m'appelle Tirant le Blanc...»

C'est ainsi que se présente, dans un des premiers chapitres du roman Tirant le Blanc, un garçon de 20 ans qui a quitté Nantes et la cour ducale pour aller à Londres prendre part aux fêtes organisées par le roi d'Angleterre à l'occasion de son mariage avec la fille du roi de France.

Bien des années après, quelque 800 pages plus tard, c'est dans la cité des Ducs de Bretagne que s'achève le roman avec les obsèques, grandioses, de Tirant le Blanc et de son épouse, la princesse Carmesina. Le duc et la duchesse de Bretagne et toute leur parenté, le roi et la reine de Fez ainsi que le vicomte de Branches, qui furent leurs amis, de très nombreux chevaliers, de nombreux moines et prêtres en procession accompagnent à travers les rues de Nantes les cercueils de Tirant et de son épouse jusqu'à l'église Notre-Dame des Carmes où un superbe tombeau rappellera aux générations à venir la gloire du chevalier breton et la beauté de celle qu'il aima d'un amour sans pareil. Cette princesse était la propre fille de l'empereur de Constantinople et son compagnon, l'un des plus grands chefs militaires de tous les temps...

Un roman vieux de cinq siècles, chef d'œuvre de la littérature catalane

Entre le début de son initiation à la chevalerie et ses obsèques solennelles dans la capitale du duché de Bretagne, le héros qui a donné son nom au roman, aura connu toutes sortes d'aventures extraordinaires d'un bout à l'autre de l'Europe et de l'Afrique du Nord, il aura mille fois risqué sa vie, rencontré bien des jolies demoiselles et affronté beaucoup de vilains personnages...

Édité pour la première fois en traduction anglaise à New-York et à Londres en 1984, «Tirant le Blanc» (dans une version anglaise de David H. Rosenthal, un peu condensée) a connu un incroyable succès aux États-Unis avec de nombreuses rééditions dans les années suivantes ; il s'en serait vendu plus d'un million d'exemplaires ; une traduction intégrale de l'œuvre, par Ray La Fontaine, a ensuite été publiée à New-York en 1993 ; une édition italienne est parue également en 1984, puis une édition en néerlandais : «De vemaakte ridder», à Amsterdam en 1987 (rééditée en 2001, plus de 100 000 exemplaires vendus au total) ; une édition en allemand : «Der Roman von weissen Ritter Tirant lo Blanc», à Francfort-sur-le-Main en 1990 (rééditée en 2007) ; une édition en finnois : «Tirant Valkoinen» en 1987... Le livre a été édité aussi en portugais et dans bien d'autres langues.

Le 500e anniversaire de la première édition de l'œuvre, en 1990, a eu un énorme retentissement dans le Pays Valencien et en Catalogne, dans le reste de la péninsule ibérique et dans le monde entier. Il est paru de nombreuses éditions du roman en catalan et en castillan, dont plusieurs en livre de poche ; il y a eu des éditions en bandes dessinées, des adaptations pour la jeunesse.

Un opéra «En Tirant lo Blanc a Grecia», par Joan Sales, avait été créée en 1972. Le roman a servi de thème à un ballet créé en 1992 par le London Philharmonic Orchestra. De 1978 à 1983, un grand artiste catalan, Manuel Boix, a réalisé une série de gravures représentant des scènes du roman.

Il en a été fait une série télévisée. Les Postes espagnoles ont émis un timbre tiré à plusieurs millions d'exemplaires en 1990. Il est paru aussi beaucoup d'ouvrages d'analyse et de critique sur le roman. De nombreux colloques internationaux ont été organisés sur «Tirant le Blanc», dont un en 1990 à Barcelone par l'Institut des lettres catalanes (les actes en sont parus en 1993) et un autre à Aix-en-Provence en 1994 (actes publiés en 1997).

L'un des plus chauds promoteurs de l'œuvre à l'époque actuelle est le grand écrivain péruvien Mario Vargas Llosa (né à Arequipa an 1936). Il a préfacé la plupart des éditions de «Tirant le Blanc» qui ont été faites depuis 25 ans, et il a écrit un petit livre intitulé «Carta de batalla por Tirant lo Blanc» (Lettres de bataille pour Tirant le Blanc) qui est paru à Barcelone en 1991. Une traduction française, due à l'écrivain rennais Albert Bensoussan, est parue chez Gallimard en 1996 sous le titre «En selle avec Tirant le Blanc».

Ce qu'il y a de bien extraordinaire dans le succès qu'a connu ce livre à la fin du XXe siècle, c'est qu'il ne s'agissait pas d'une œuvre contemporaine comme «Le nom de la rose», de Umberto Eco, mais d'une œuvre vieille de plus de cinq siècles, publiée pour la première fois en 1490. Il n'est pas exagéré d'écrire que «Tirant le Blanc» est une des œuvres les plus importantes de la littérature européenne du Moyen Âge à placer au même niveau que les «Contes de Canterbury» de William Chaucer, et que le «Décaméron» de Boccace. Il s'agit d'une œuvre littéraire majeure, étonnamment moderne et toujours passionnante à lire.

«Tirant le Blanc» est une œuvre encore très largement inconnue du public de langue française bien qu'elle ait déjà fait jadis l'objet de plusieurs éditions en français, en 1737, 1775 et 1786, à des petits tirages et dans une traduction assez libre et non intégrale du comte de Caylus (1692-1765) parue sous le titre «Histoire du vaillant chevalier Tiran le Blanc». Les éditions Gallimard, qui avaient prévu depuis longtemps l'édition d'une nouvelle traduction de l'œuvre pour le 500e anniversaire de sa première parution (on avait parlé de sa publication dans la prestigieuse collection de la Pléïade), se sont finalement contentées de rééditer en 1997 la traduction du comte de Caylus de 1737 avec une préface de Mario Vargas Llosa.

La nouvelle traduction menée par le professeur Jean-Marie Barbera, de l'Université d'Aix-en-Provence, n'est finalement parue qu'en 2003 chez un petit éditeur de Toulouse, Anacharsis, sous la forme d'un beau volume de 987 pages, lui aussi préfacé par Mario Vargas Llosa. Cette édition, bien qu'à tirage limité, n'a été épuisée qu'au bout de trois ans ; une nouvelle impression en sera disponible en principe à la rentrée. On ne peut pas dire cependant que la presse française ait fait à ce livre un accueil enthousiaste comparable à celui qu'il a reçu aux États-Unis, aux Pays-Bas et dans beaucoup d'autres pays, alors que l'histoire commence et se termine à Nantes et que son héros est un chevalier breton. Le livre est resté largement inaperçu en Bretagne jusqu'à ce jour et ne se trouve encore que dans très peu de bibliothèques...


On peut se demander si le dédain avec lequel ce livre a été reçu en France ne tient pas en bonne part au fait qu'il ait été écrit, non pas en espagnol ou en castillan, mais en valencien, le parler catalan pratiqué dans la Généralité de Valence, c'est à dire une langue régionale à l'égard de laquelle beaucoup de beaux esprits en France font encore inconsciemment un blocage très fort.

La culture catalane a pourtant été au Moyen Âge une des plus brillantes d'Europe. Elle a malheureusement vu son étoile pâlir lorsque le royaume d'Aragon s'est uni au royaume de Léon et Castille et que n'a cessé ensuite de se renforcer le centralisme castillan. Dans un État de plus en plus puissant, contrôlant une grande partie de l'Europe et dominant les mers et une bonne partie d'autres continents, la culture catalane s'est trouvée reléguée au second plan. Ce déclin s'est poursuivi et s'est encore accentué après la chute de la République, sous la dictature franquiste qui a tenté d'étouffer toutes les langues et cultures autres que castillanes.

Malgré une répression très brutale de toutes les formes d'expression culturelle, la langue catalane est restée vivante, des écrivains ont continué à écrire, des œuvres à être publiées et diffusées, souvent de manière clandestine, et les fondements d'une véritable renaissance ont été posés. Francisco Franco est mort en 1975 et, dès l'année suivante, un régime parlementaire a été instauré en Espagne. En 1978, une constitution démocratique a été adoptée, qui allait permettre à toutes les régions de l'État espagnol et particulièrement aux nationalités historiques - Catalogne, Galice et Pays Basque - de retrouver les libertés perdues. L'Espagne a connu depuis trente ans une extraordinaire explosion culturelle, littéraire et artistique. Les «Pays Catalans», c'est à dire la Catalogne proprement dite, le Pays Valencien et les Îles Baléares - soit une population de dix millions d'habitants - ont retrouvé leur héritage commun et cette dynamique a largement contribué au succès de «Tirant le Blanc» lors du demi-millénaire qui a suivi sa première édition.

De Londres à Constantinople, en passant par la Sicile et par l'île de Rhodes

Tirant de Roca Salada (que l'on traduirait volontiers en Bretagne par Tirant de Roc'hsall) est donc âgé de 20 ans au début du récit. Propre petit-fils du duc de Bretagne, il est né à Nantes où il vit habituellement, mais on le trouve faisant route pour Londres avec un groupe d'autres jeunes Bretons qui vont participer aux grandes fêtes qu'organise le roi d'Angleterre à l'occasion de son mariage ; il y est prévu de nombreux tournois qui donneront l'occasion de briller à l'élite de la chevalerie européenne. En chemin, le jeune homme, fatigué par ce long voyage, s'endort à cheval et sa monture quitte la route que poursuivent ses compagnons, si bien qu'il se retrouve près d'une fontaine, dans la forêt, là où vit dans la méditation et la prière un saint ermite à la longue barbe blanche, qui fut l'un des grands hommes de guerre du royaume d'Angleterre, le comte Guillaume de Warvick. Une profonde sympathie va naître entre le jeune Breton et le vieillard et celui-ci va en quelque sorte se charger de son initiation à la chevalerie.

Puis Tirant va gagner Londres, y retrouver ses compagnons et participer aux fêtes et aux tournois avec l'ardeur, l'audace et le courage dont il est grandement pourvu. Il remporte de nombreuses victoires, tout en étant aussi plusieurs fois blessé. La galanterie qu'il manifeste envers une fort jolie demoiselle prénommée Agnès lui vaut d'être provoqué en duel par un chevalier français irascible et jaloux. Au cours du combat, Tirant est très grièvement blessé, mais dans un dernier sursaut, il réussit à faire passer son adversaire de vie à trépas. À peine rétabli de ses blessures, il doit répondre au défi de quatre mystérieux chevaliers qu'il défait et tue successivement. Comme ces personnages n'étaient autres que deux ducs et deux rois, ces victoires sanglantes appellent une vengeance et Tirant est provoqué par leurs proches à de nouveaux combats, où il triomphe encore. Il est alors proclamé le meilleur de tous les chevaliers présents à Londres et le roi d'Angleterre dont il est devenu l'ami, en fait le premier des 25 chevaliers d'un nouvel ordre qu'il a décidé de créer, l'ordre de la Jarretière... La véritable histoire s'entremêle ainsi avec la fiction.

Revenu en Bretagne où l'écho glorieux de ses exploits l'a précédé, Tirant est reçu avec beaucoup d'honneurs par son grand-père, le duc de Bretagne. C'est alors que Tirant apprend que l'île de Rhodes, bastion de la Chrétienté en Méditerranée face au monde de l'Islam, est assiégée par le sultan du Caire, auquel les Génois ont prêté main forte, bien qu'ils soient eux-mêmes chrétiens, mais parce qu'ils sont prêts à tout pour développer leurs activités commerciales... Les appels au secours du Grand Maître des chevaliers de Rhodes sont restés sans réponse.

Aussi Tirant décide-t-il avec quelques compagnons de se porter à l'aide des assiégés, même s'il doit y laisser sa vie. Il fait armer un navire en Bretagne, où vient le rejoindre pour participer à l'expédition le prince Philippe, le cinquième et le plus jeune des fils du roi de France, un garçon timide et un peu dédaigné par son père, mais qui va devenir un grand ami de Tirant. Le navire quitte la Bretagne, essuie diverses attaques pendant le voyage, mais en vient à bout et arrive en Sicile où il fait escale. Les membres de l'expédition sont reçus par le roi de Sicile et le prince Philippe tombe amoureux de sa fille, Ricomania, ce qui vaut au lecteur des épisodes savoureux. En effet, si Philippe est un jeune chevalier plein de vaillance, en revanche, c'est un garçon mal à l'aise en société et complètement paralysé en présence des femmes. Tirant doit déployer des trésors de ruse et d'imagination pour permettre à son ami de déclarer sa flamme à la princesse et finalement l'épouser.

L'expédition repart et parvient finalement à Rhodes en déjouant le blocus des assiégeants, puis, grâce à un habile stratagème et en dépit de leur infériorité numérique, les Bretons et les chevaliers de Rhodes réussissent à mettre hors de combat une bonne partie de la flotte ennemie et à contraindre les autres navires à prendre la fuite. Rhodes est sauvée et Tirant peut donc rentrer en Bretagne, sa mission accomplie, mais, peu de temps après, le roi de Sicile écrit au duc de Bretagne pour lui faire savoir qu'il aimerait que Tirant accompagne son gendre, le prince Philippe, qu'il souhaite voir revenir en Bretagne.

En débarquant à Palerme, le jeune chevalier breton apprend que l'Empire grec de Constantinople lui-même et gravement menacé par les Turcs. Sans hésiter, il part donc avec ses compagnons mettre ses armes au service de l'empereur. Après une série de batailles, Tirant parvient à mettre le sultan en déroute mais il va lui-même tomber follement amoureux de la fille unique de l'empereur, la belle et très sage princesse Carmesina qui éprouve aussi bien vite de tendres sentiments pour le jeune capitaine breton, sans qu'aucun des deux n'ose se déclarer. Les épisodes militaires alternent avec les intrigues en tous genres qui agitent la cour impériale. Tirant se meurt d'amour pour Carmesina, mais la nourrice de la princesse, l'abominable veuve Reposada, qui est elle aussi amoureuse de Tirant, multiplie les manœuvres pour faire échec à l'amour qu'elle devine entre les deux jeunes gens, et pour séduire Tirant. Dans le même temps, la très délurée Plaerdemivida, une des compagnes de la princesse Carmesina, imagine toutes sortes de ruses pour pousser Tirant et Carmesina dans les bras l'un de l'autre. Quant à l'impératrice, beaucoup plus jeune que son mari, qui est un vieillard bien fatigué, elle a jeté son dévolu sur Hippolyte, le jeune écuyer de Tirant, qu'elle réussira à attirer dans un rendez-vous galant, à l'insu de l'empereur et de son entourage.

Libérateur de l'Afrique du Nord et sauveur de l'Empire grec, le héros meurt finalement dans son lit

Le cours des événements, en l'occurrence une tempête, va entraîner Tirant bien loin de sa belle. Après avoir fait naufrage en Tunisie et avoir tout perdu, il se retrouve seul en plein pays musulman et donc condamné à finir sa vie comme esclave, loin des siens, mais le sort va en décider autrement. Au terme de mille péripéties, Tirant parviendra à devenir un grand capitaine en Afrique du Nord et il saura, par son courage et sa générosité, en convertir les habitants à la foi chrétienne. Il n'oubliera jamais sa belle princesse grecque et reviendra juste à temps pour sauver in extremis Constantinople, vaincre une nouvelle fois les Turcs et ramener une paix durable dans l'Empire d'Orient.


Le roman semble approcher d'une fin heureuse, le mariage de Tirant et de Carmesina va enfin être célébré, quand le vaillant capitaine breton qui a échappé mille fois à la mort et dont le corps est tout couturé de cicatrices, est soudain emporté par une banale maladie, en quelques jours, mourant ainsi dans son lit, non sans avoir eu le temps de faire son testament et de recevoir les derniers sacrements. Carmesina ne peut lui survivre et elle meurt à son tour de douleur sur son cadavre, s'unissant ainsi tragiquement enfin à lui. Cette double mort ne tarde pas à provoquer celle du vieil empereur, et l'impératrice, vite consolée, peut alors épouser Hippolyte avec lequel elle va pouvoir gouverner l'empire durant de longues années dans la paix acquise par les victoires de Tirant.

Conformément aux dernières volontés de Tirant, le corps de celui-ci sera ramené en Bretagne avec celui de Carmesina pour être enterré en l'église Notre-Dame à Nantes, à côté des tombeaux de ses ancêtres.


De folles intrigues amoureuses, un bel idéal chevaleresque et des héros qui ont les pieds sur terre

Tirant le Blanc est un extraordinaire roman d'aventures et d'amour, étonnant par sa modernité et bien plus captivant que nombre de romans de notre époque. Il ne comporte aucune de ces longues et souvent fastidieuses descriptions que l'on rencontre souvent dans les romans du XIXe siècle et même encore dans certains de ceux du début du XXe siècle. Les chapitres en sont courts, parfois même extrêmement courts, le dialogues sont nombreux et, surtout, il y règne, au moins pendant les deux premiers tiers du livre, une atmosphère de vraisemblance tout à fait étonnante. Des personnages et des événements historiques bien réels se mêlent à des personnages et à des scènes de pure fiction. L'ironie est souvent présente et certaines scènes sont incroyablement drôles et parfois aussi très osées.

Ainsi, au moment où Tirant, que la polissonne Plaerdemivida a introduit secrètement dans la chambre à coucher de Carmesina et même à sa place dans le lit qu'elle partage habituellement avec la princesse, va enfin, le cœur battant, pouvoir s'unir à celle qu'il aime follement, non sans être très ennuyé d'y parvenir par un procédé déloyal, la vilaine veuve Reposada, qui dort dans une pièce voisine et qui a entendu un bruit suspect, soupçonne ce qui se trame et, verte de jalousie, elle pousse soudain des cris d'orfraie pour donner l'alerte et réveiller tout le palais. Tirant est obligé de s'enfuir de la chambre de sa belle, en petite tenue et bien précipitamment. Il passe par la fenêtre et entreprend de descendre au moyen de draps, mais, comme ceux-ci sont trop courts, notre héros saute dans le noir et... se casse la jambe. À ses parents qui ont surgi dans sa chambre avec toute une escorte de soldats et de serviteurs, tirés de leur sommeil en pleine nuit, Carmesina raconte qu'un gros rat a traversé sa chambre...

Pendant ce temps, les compagnons de Tirant, qui ont entendu tout le remue-ménage qui agite le palais impérial et qui constatent que leur capitaine n'est pas dans sa chambre, partent à sa recherche et explorent discrètement les jardins. Ils entendent soudain les gémissements de Tirant dans le noir, mais le capitaine breton, craignant qu'il ne s'agisse de poursuivants lancés sur ses traces, leur flanque une belle terreur en se faisant passer pour un revenant...


On chercherait en vain ce genre de scènes dans les romans de la vulgate arthurienne et il est clair que l'on a changé d'univers culturel avec Tirant le Blanc, même s'il est toujours question de chevaliers, de tournois et d'actions héroïques et même si l'on voit apparaître le roi Arthur en personne dans un des chapitres du roman. Ce bref épisode arthurien est tellement différent du reste du roman qu'il faut le voir comme un songe. Il est vrai aussi que l'on trouve d'autres allusions à la matière arthurienne dans le récit, par exemple dans les thèmes des décors du palais impérial à Constantinople, mais les aventures de Tirant sont elles-mêmes bien plus proches de la vraie vie et ne se déroulent dans un lointain passé légendaire, elles s'inscrivent quasiment dans l'actualité au moment où s'écrit le récit.

Le petit-fils du duc de Bretagne, héros du roman, n'est ni un surhomme, ni un héros invincible, sans peur et sans reproche, bien ennuyeux comme le sont les gens trop parfais. Certes, c'est un chevalier d'une bravoure et d'une intelligence exceptionnelles, mais il a aussi ses faiblesse. Il commet des maladresses et des erreurs, il lui arrive d'être énervé ou fatigué, d'avoir faim ou de se sentir un tout petit garçon devant une jolie demoiselle. Sa foi chrétienne est profonde et l'idéal chevaleresque est vraiment au cœur de sa vie, n'en déplaise à certains critiques modernes qui ont voulu n'y voir qu'une façade conventionnelle. Il a aussi un sens aigu des réalités matérielles et attache beaucoup d'importance aux problèmes d'intendance. Dans ses combats contre les Turcs, il emporte la victoire au moins autant grâce à son esprit pratique et à son sens de l'organisation qu'à cause de sa bravoure. Bref, Tirant apparaît comme un être en chair et en os, vraiment humain, attachant et sympathique, et il est peu de héros de romans, surtout aussi éloignés de nous dans le temps, dont on puisse se sentir si proche.

La rencontre du jeune Tirant avec le vieux comte Guillaume de Warvick devenu ermite, le sermon d'un prédicateur, une harangue de Tirant à ses troupes ou encore une joute intellectuelle entre l'impératrice et sa fille, sont autant d'occasions d'exalter l'idéal chevaleresque et les vertus chrétiennes. En cela, ce roman est terriblement éloigné du Prince de Machiavel, postérieur d'une cinquantaine d'années à peine. On ne prêche pas aux gouvernants dans Tirant le Blanc le cynisme et l'habileté, mais la vertu, la générosité et la modestie... Cela n'empêche pas les personnages, y compris Tirant lui-même, d'être parois brutaux et cruels, comme par exemple dans l'épisode où le héros tranche la tête du malheureux jardinier noir Lauseta, dont la vilaine veuve Reposada a réussi à lui faire croire qu'il avait eu des relations coupables avec la princesse Carmesina... La chasteté dont on vante les mérites à diverses occasions, est parfois aussi bien malmenée, le roman ne manque pas d'expressions assez crues et certains épisodes sont d'une étonnante paillardise qui n'est pas sans rappeller le «Décaméron» de Boccace.


Un auteur à la vie aventureuse qui est certainement venu lui-même en Bretagne

L'auteur principal de ce superbe roman, Joannot Martorell était né en 1413 ou 1414 à Gandia, dans la région de Valence, et il mourut en 1468. Il mena lui-même une vie passablement mouvementée, pleine d'aventures et sans doute assez proches de celle des héros de son roman. C'est dans le cadre de l'une de ces aventures qu'il se rendit en Angleterre en 1438-1439 et il y retourna peut-être en 1450-1451. On a acquis la certitude qu'il se rendit également au Portugal, mais on ne sait pas exactement quand, et aussi qu'il séjourna à Naples, probablement à partir de 1442. Il s'y trouvait aussi en 1454-1455. Il eut donc sans doute des échos assez directs de ce drame immense que fut pour toute la chrétienté la prise de Constantinople par les Turcs en 1453. Son roman apparaît comme une œuvre d'histoire-fiction qui imagine le cours différent qu'auraient pu prendre les événements de son temps si les Turcs avaient été repoussés et durablement vaincus...

C'est en 1460 qu'il aurait commencé à écrire son roman, c'est à dire seulement sept ans après la chute de l'Empire chrétien d'Orient. Lorsqu'il mourut, en 1468, il n'en avait écrit que les trois quarts et c'est un de ses compatriotes, dont on ne sait pratiquement rien, sinon qu'il mourut lui-même en 1490, l'année de la première édition du roman, Marti Joan de Galba, qui poursuivit et termina sa rédaction, sans doute à partir du plan et des notes laissés par Martorell.

La partie rédigée par ce second auteur est nettement moins riche sur le plan psychologique, elle comporte certaines maladresses et incohérences et l'histoire finit même par perdre toute vraisemblance puisque l'on voit Tirant, captif d'un prince musulman, convertir son maître à la foi chrétienne, puis bientôt les habitants de l'Afrique du Nord, pacifiquement, par dizaines de milliers, puis par centaines de milliers. Le dernier quart du roman présente ainsi beaucoup moins d'intérêt et semble n'être que la poursuite maladroite et stéréotypée du récit de Martorell, bien que la fin de Tirant le Blanc soit vraiment, elle, dans l'esprit de la plus grande partie du roman (on peut penser que c'est Martorell lui-même qui l'avait d'avance écrite).

On peut naturellement se demander ce que des Bretons viennent faire dans une histoire écrite par un chevalier valencien et qui a pour cadre l'Angleterre, puis surtout le bassin méditerranéen. Curieusement, aucune étude ne semble encore avoir été vraiment consacrée à cette question. Les travaux, analyses, interprétations et critiques ne manquent cependant pas sur «Tirant le Blanc». On a pu repérer ses principales sources d'inspiration littéraire, on a analysé la langue de l'œuvre, on a étudié le cadre historique et géographique des événements qui s'y déroulent et contrôlé la rigueur des informations données par les auteurs en matière d'armements et de tactique militaires, certains chercheurs ont gravement disserté sur la place de la sexualité dans le roman et encore sur bien d'autres points. On a souligné l'influence que Tirant le Blanc avait eue sur Cervantes, lequel cite d'ailleurs explicitement le livre au début de «Don Quichotte» et on a voulu également y voir une des sources d'inspiration de William Shakespeare quand il a écrit sa pièce «Much ado about nothing» (Beaucoup de bruit pour rien) (1600)... Mais personne ne semble s'être sérieusement penché à ce jour sur les liens de Martorell avec la Bretagne, ni sur les raisons qui font que l'adjectif «breton» revient plus d'une centaine de fois dans le roman...

Certes, la Bretagne elle-même n'est pas très présente dans ce livre. «Tirant le Blanc» ne nous apprend rien de très précis sur la vie du duché aux XIVe et XVe siècles. Un seul nom de lieu y est cité, celui de Nantes, la capitale du duché, mais les événements qui s'y déroulent, sont toujours extrêmement brefs et sans véritable importance pour le fil du récit. La généalogie de Tirant est tout à fait fantaisiste et on ne voit pas où pourrait se situer cette Marche de Tiranie, dont le père du héros aurait été le seigneur...

Le nom même de Tirant soulève des interrogations; certains y ont vu une déformation du nom de Tristan, mais Tirant peut aussi correspondre à un nom propre répandu en Bretagne depuis le Moyen Âge et toujours présent aujourd'hui comme nom de famille, porté aujourd'hui par une centaine de personnes : Tiran, Tirant, Tyran, Tyrant, précédé ou nom de l'article Le. Ce nom provient directement du vieux-breton «Tiern» qui signifie chef, prince, nom tout à fait indiqué donc pour un petit-fils du duc de Bretagne appelé à devenir un grand chef militaire...

Les noms des compagnons bretons de Tirant, comme ce lui de son cousin Diaphébus par exemple, n'ont en revanche pas une consonance très bretonne, mais les Grecs n'ont pas non plus des noms très grecs, les Français pas des noms très français, ni les Arabes des noms très arabes. Un chevalier frison particulièrement belliqueux s'appelle même Kyrieleison de Muntalba... Visiblement, Martorell n'attache pas beaucoup d'importance à ce genre de détails ou cherche même à divertir son lecteur avec ce qui ressemble bien à des calembours. D'ailleurs le récit comporte bien d'autres invraisemblances de détail : l'empereur de Constantinople et ses sujets sont tous de bons catholiques et on trouve des moines capucins comme aumôniers des princes grecs. Tirant ne semble à aucun moment rencontrer de problèmes linguistiques lors qu'il passe de Bretagne en Angleterre, puis en Sicile, en Grèce, en Afrique du Nord et dans d'autres contrées encore...

L'idée que les Européens auraient pu reconquérir ou tenter de reconquérir à la foi chrétienne toute l'Afrique du Nord, paraît aujourd'hui complètement invraisemblable après l'échec de la colonisation française en Afrique du Nord et les indépendances de la Tunisie, du Maroc et surtout de l'Algérie, considérée pendant un temps comme faisant vraiment partie de la France, mais il faut se mettre à la place d'un habitant de Valence dans la seconde moitié du XVe siècle. Les Musulmans qui avaient été les maîtres absolus de toute la péninsule ibérique ou presque pendant plusieurs siècles, en avaient été progressivement chassés : Cordoue était repassée sous le pouvoir des Chrétiens en 1236, Séville en 1248, Cadix en 1262, Algésiras en 1344 et Huacar en 1430 ; Malaga allait tomber en 1487, Almeria en 1489 et enfin Grenade, dernier bastion musulman dans la péninsule, en 1492. Déjà les Espagnols et les Portugais commençaient à prendre pied en Afrique du Nord et, vers 1510, vingt ans seulement après la parution de Tirant le Blanc, ils allaient contrôler pratiquement tous les ports du Magheb et une large bande côtière, depuis le sud du Maroc jusqu'à la Lybie. Il est permis de penser que, sans la découverte du Nouveau Monde qui allait détourner leur énergie vers d'autres horizons plus prometteurs, Espagnols et Portugais auraient pu consolider durablement leur occupation du Maghreb et soumettre peut-être définitivement tout l'espace situé au nord du Sahara, de l'océan Atlantique à la Cyrénaïque. Mais, en 1490, Christophe Colomb n'avait pas encore découvert l'Amérique et on ne refait pas l'Histoire...

Le prestige considérable des Bretons dans l'Europe du XVe siècle

La nationalité bretonne du héros et de ses compagnons, maintes fois rappelée au cours du récit, n'est pas le simple fruit du hasard et il ne semble pas possible d'y voir seulement un écho de la popularité passée des récits de la Table Ronde dans l'Europe du XVe siècle et en particulier dans les pays catalans (comme l'atteste par exemple l'existence d'une chapelle du Saint Graal dans la cathédrale de Valence). On ne peut affirmer non plus que Tirant aurait aussi bien pu être originaire des Flandres, de Toscane ou de Hongrie. C'est un Breton et plusieurs phrases et expressions témoignent de l'estime que Martorell semble avoir portée aux Bretons, ainsi d'ailleurs qu'aux Anglais, pour lesquels Marti Joan de Galva en revanche ne semble pas avoir nourri beaucoup de sympathie. Il y a certainement là un champ d'investigation intéressant à explorer à l'avenir.

On est en droit de penser que la nationalité bretonne du héros de ce formidable roman témoigne du grand prestige dont jouissaient la Bretagne et les Bretons en Europe au XVe siècle. Cette période a en effet été celle de l'apogée du duché comme puissance maritime et commerciale ; on trouvait alors des marins bretons dans tous les ports d'Europe, surtout sur la façade Atlantique du continent, mais aussi en mer du Nord et même en Méditerranée. Deux traités de commerce importants avaient été passés entre le duc de Bretagne et les rois de Léon et Castille en 1430 et 1435. Les Archives des Indes à Séville signalent l'existence d'un quartier breton à Sanlucar de Barrameda, à l'embouchure du Guadalquivir dès 1466.


Au moment où s'achève la rédaction de «Tirant le Blanc», c'est un Breton de Saint-Pol-de-Léon, Juan Guas (Yann Gwaz ou Jean Goas) qui est le grand maître d'œuvre des rois catholiques Ferdinand et Isabelle. Un autre Breton, Lorenzo Mercadante (Laurent Marc'hadour) travaille comme sculpteur à la cathédrale de Séville de 1454 à 1468. En 1455, Rome a canonisé Vincent Ferrier, né à Valence en 1357 et mort en Bretagne, à Vannes, en 1419. Quelques années plus tard, le principal maître-imprimeur de Valence sera un certain Jean Joffré, que l'on dit originaire de Saint-Brieuc en Bretagne. C'est dire combien étaient nombreux les liens de toutes sortes entre la Bretagne et la péninsule ibérique.

Il semble plus que probable que Joanot Martorell, pour se rendre lui-même à Londres en 1438 et en revenir en 1439, ait emprunté la voie maritime passant devant les côtes de Bretagne et il est vraisemblable qu'il ait fait escale à Nantes, qui étaient déjà un port très important et où vivaient de nombreux Ibériques. C'est le duc Jean V le Sage, né en 1389, qui régnait alors en Bretagne et le duché, resté largement en dehors de la guerre de Cent Ans entre la France et l'Angleterre, connaissait alors un développement économique sans précédent. Jean V eut trois fils et quatre filles, dont aucune ne porta le prénom de Blanche. En revanche, son père, le duc Jean IV, avait bien eu une fille prénommée Blanche (qui avait épousé en 1406 Jean, comte d'Armagnac).

À Londres où Joanot Martorell semble avoir séjourné durant de nombreux mois, il dut aussi sans doute rencontrer un certain nombre de Bretons. Ce qui est amusant, c'est qu'il situe la fondation de l'Ordre de la Jarretière pendant le séjour de Tirant à Londres. Or cet ordre fut fondé par Édouard III en 1348 à la suite d'un incident concernant une future duchesse de Bretagne. Édouard III était en effet en train de danser avec la comtesse de Kent, née Jeanne Holland et réputée pour sa beauté, quand elle perdit une de ses jarretières de couleur bleue, ce qui fit éclater de rires les témoins de cette scène ; très galamment, le roi d'Angleterre ramassa la jarretière, l'accrocha à sa propre jambe et tança les moqueurs avec ces mots : «Honni soit qui mal y pense !» qui devint la devise de l'ordre de chevalerie qu'il créa à la suite de ce bal. Devenue veuve, Jeanne Holland se remaria en 1361 avec le prince de Galles, fils d'Édouard III, puis, après la mort de ce dernier, elle épousa en 1366 le duc de Bretagne Jean IV (elle devait mourir en Bretagne en 1385 et ses restes reposent en terre bretonne ; on peut toujours voir sa pierre tombale dans la chapelle de l'ancienne abbaye de Prières, à côté de Billiers)...

L'idée même d'un groupe de chevaliers bretons se portant au secours d'un bastion menacé de la Chrétienté n'avait rien de farfel. L'esprit de croisade a soufflé en Bretagne plus longtemps que dans beaucoup d'autres pays d'Europe. Un duc de Bretagne, Alain Fergent, a participé personnellement à la première croisade (1096-1099), un autre, Pierre Mauclerc a participé à la septième (1248-1254), et un autre encore, Jean Ier le Roux, à la huitième (1270). Des navires bretons avaient participé à la reprise de Lisbonne aux Maures en 1171, d'autres Bretons prirent part au siège et à la prise de Grenade en 1492.

En 1501, des Bretons allaient encore participer en bon nombre à l'expédition de Mitylène que certains considèrent comme étant la dernière croisade et Anne de Bretagne allait financer de ses propres deniers l'armement des sept meilleures nefs de Bretagne ; à cette expédition allaient prendre part des Quélénec, Malestroit, Boisboissel, Meschinot, Cadoret, Cosquer, le vice-amiral Hervé Garland, le premier héraut d'armes Pierre Choque, Jacques Guibé, commandant de la Cordelière, et deux fameux Malouins qui allaient périr tous les deux héroïquement en combattant les Turcs, Jean et François Porcon, dits Porcon le Grand et Porcon le Petit.

Deux ans plus tôt, Jean Porcon, commandant de la Charente, et d'autres Bretons avaient participé à la superbe victoire de Lépante sur la flotte turque (72 ans avant l'autre victoire de Lépante, plus connue du grand public). Les chevaliers hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem auxquels Tirant le Blanc est sensé avoir porté secours, avaient effectivement fait de l'île de Rhodes à partir de 1309 une forteresse quasi-imprenable et ils y tinrent tête aux Turcs durant deux siècles, jusqu'en 1523, où ils durent évacuer l'île...

Le fait de voir des étrangers servir dans l'armée de Constantinople n'a rien non plus d'invraisemblable et il a même constitué une constante dans l'histoire de cet empire au Moyen Âge. Pendant plusieurs siècles, la défense de l'Empire d'Orient a été assurée principalement par des troupes mercenaires, parmi lesquelles on rencontre des Bretons, comme le fameux Hervé le Francopoule (le fils de Franc), fameux chef de guerre breton au service de Constantinople au XIe siècle. À plusieurs reprises, des corps expéditionnaires se portèrent au secours des principautés et royaumes chrétiens menacés en Europe même par la progression des Turcs.

Joanot Martorell ne pouvait pas ne pas connaître en particulier l'effroyable massacre de Nicopolis dans lequel périrent plus de 10 000 soldats chrétiens, dont l'élite de la noblesse française et 120 gentilshommes bretons, le 28 septembre 1396. Ils faisaient partie de cette armée qui s'était portée au secours du roi de Hongrie Sigismond, de plus en plus menacé par les progrès des Turcs. Les Hongrois et leurs alliés descendirent la vallée du Danube et vinrent camper devant Nicopolis où les Turcs leur livrèrent bataille. La mésentente et l'indiscipline des chrétiens entraîna leur perte, les Turcs firent plus de 10 000 prisonniers qu'ils massacrèrent tous à l'exception des 24 plus riches qu'ils mirent à rançon. Cette ville est aujourd'hui située en Bulgarie comme aussi la région dans laquelle Tirant mène sa dernière campagne contre les Turcs.

Féru de littérature chevaleresque, Martorell avait peut-être eu connaissance de la “Geste des Bretons en Italie”, c'est-à-dire du récit de l'incroyable équipée d'une petite armée bretonne commandée par Jean de Malestroit et Sylvestre Budes, cousin de Bertrand Duguesclin, partie porter secours au pape Grégoire XI en Italie de 1376 à 1379. Cette petite armée bretonne avait notamment occupé et tenu pendant près d'un an le château Saint-Ange, au bord du Tibre, contrôlant ainsi le centre de Rome.

Du vivant de Martorell, d'autres Bretons furent présents sur de nombreux champs de bataille ou participèrent à de nombreux combats navals comme ceux qui sont décrits dans son roman. On peut citer par exemple les noms de trois frères : Prigent de Coëtivy (1400-1450) qui fut gouverneur de La Rochelle et amiral de France, Olivier de Coëtivy (1415-1479) qui fut gouverneur de Bordeaux, et Alain de Coëtivy (1407-1474) qui fut l'un des plus puissants personnages de la cour pontificale à Rome et qui faillit devenir pape...


Publiées pour la première fois en catalan (valencien) à Valence le 20 novembre 1490, puis une seconde fois à Barcelone en 1497, les aventures de Tirant le Blanc furent traduites en castillan et imprimées à Valladolid en 1511. Une édition en italien en parut à Venise en 1538. Après la première édition française en 1737, il y eut une édition en roumain à Bucarest en 1878.

«Tirant le Blanc» a été maintes fois réédité en catalan et en castillan depuis un siècle, mais ce n'est que depuis une vingtaine d'années qu'il a connu un grand succès international. Il est temps que les Bretons découvrent ce roman étonnant dont le héros est un Nantais.


— Ce texte est paru pour la première fois en 1989 dans le volume annuel de l'Association Bretonne, à l'approche du 500e anniversaire de la première édition de «Tirant le Blanc». Il a été complété et mis à jour pour l'ABP, dans la perspective de la prochaine reparution du livre à l'automne 2008.


Son auteur principal, Joanot Martorell, était né en 1413 et mort en 1468. Publié pour la première fois en valencien, très proche du catalan, en 1490, puis en castillan à Valladolid en 1511, «Tirant le Blanc» est paru en italien à Venise en 1538, en français (dans une version raccourcie due au comte de Caylus) en 1737, 1775 et 1786, et en roumain à Bucarest en 1878. Les rééditions n'ont pas cessé depuis, en catalan et en castillan, mais ailleurs, le roman est tombé dans l'oubli et ce n'est qu'à partir de 1984 que cette œuvre étonnante, dont le héros est un Breton, a vraiment commencé à être redécouverte ou plutôt, à vrai dire, découverte au plan international. Une traduction anglaise réalisée pour la première fois et publiée simultanément à New-York et à Londres en 1987 a connu un formidable succès. Une nouvelle édition en a été faite en roumain en 1978 et en italien en 1984. L'œuvre est ensuite parue en finlandais en 1987, en néerlandais en 1988 (il s'en est vendu 100 000 exemplaires dans cette langue !), en allemand, en polonais, en chinois (1993), en portugais (2004), en japonais et encore dans bien d'autres langues. En 1997, les éditions Gallimard ont réédité la version abrégée du comte de Caylus.

Ce roman a inspiré de nombreux artistes, est paru en bandes dessinées, a servi de thème à un ballet, puis a été porté à l'écran. Le demi-millénaire de sa première édition a donné lieu en 1990 à de multiples manifestations en Catalogne, dans le Pays Valencien et dans toute l'Espagne et tout le monde hispanique. Les postes espagnoles ont aussi émis un timbre imprimé à des millions d'exemplaires.

Curieusement, cet anniversaire n'a eu que peu d'échos à Nantes, en Bretagne et dans l'ensemble de la France. Certes une petite place du centre de Nantes, à proximité du château des ducs de Bretagne, a été baptisée «Place Tirant lo Blanc», mais il a fallu attendre encore plusieurs années avant qu'une belle traduction intégrale de l'œuvre, due à Jean-Marie Barbera, soit enfin publiée en français. Elle est parue en 2003 aux éditions Anacharsis de Toulouse en un beau volume de 987 pages.

Épuisée au bout de deux ans, cette édition de «Tirant le Blanc» va reparaître à l'automne prochain (vendue au prix de 30 €) et tous ceux qui ne l'ont pas encore savourée, vont ainsi pouvoir enfin le faire d'ici quelques mois.

Anacharsis Éditions
3 rue Peyrolières
31000 Toulouse
Tél. : 05 34 40 80 27
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courriel : anacharsis.ed(AT)wanadoo.fr

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