Né français, mort breton

Communiqué de presse publié le 6/06/08 9:18 dans Politique par Jean Yves Quiguer pour Mouvement fédéraliste de Bretagne
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Philadelphie, le 4 juillet 1776 : rassemblés en Congrès les représentants des treize colonies viennent de signer un document explosif. Il est dit que tous les hommes naissent égaux et qu'ils ont tous des droits inaliénables. Le document n'hésite pas à qualifier Sa Majesté George III, roi d'Angleterre, de tyran et il proclame l'indépendance, sur le champ, des treize colonies.

James Kent, qui deviendra président de la Haute Cour de Justice de l'Etat de New York, puis chancelier, s'était insurgé contre l'intégration du système juridique anglais dans le système américain. Il ne supportait pas d'avoir à se référer aux livres anglais, à leurs pratiques et à leurs jurisprudences. Il avait compris en matière juridique ce que N. Webster allait expliquer à propos de la langue. Un peuple libre doit utiliser ses propres outils, faute d'être condamné à la poursuite d'une réelle dépendance et à l'illusion de sa propre liberté.

James Kent est né anglais ; il est mort américain.

Une question vient alors à l'esprit. Un juriste breton est-il celui qui se réfère aux contenus actuels des Dalloz ou ne serait-il pas davantage celui qui participerait à l'élaboration d'un système juridique breton ?

Le bijuridisme existe, notamment au Québec où cohabitent la common law canadienne et le droit civil du Québec.

Pourtant, lors de la fondation de la Confédération, en 1867, le Dominion du Canada n'était pas perçu comme la naissance d'une nouvelle nation. L'union des colonies britanniques n'avait qu'un seul objectif : la défense des terres de l'empire face au voisin américain.

En 1891, Sir John A. Macdonald, Premier ministre du Canada, déclarait qu'il était né britannique et qu'il mourrait britannique.

On comprend mieux la lenteur du passage du concept « franco-canadien » à celui de Québécois. L'évanouissement du premier et l'avènement du second ne pouvaient se réaliser rapidement sous des pesanteurs aussi lourdes et puissantes.

L'antériorité de la Bretagne sur la France n'évite pas pour autant cet écueil car le formatage des esprits, la violence, les menaces et les répressions ont accompli une œuvre de destruction telle qu'il semble qu'il faille tout reconstruire. Et voici que les socialistes français évoquent soudainement le libéralisme, allant jusqu'à le revendiquer. Si on peut s'accorder sur la réalité que ce n'est pas Adam Smith qui en est le penseur séminal, on ne pourra accepter un cocorico de plus qui voudrait tout rapporter à la France.

Restons en Europe et allons jusqu'à Salamanque.

En ce début du 16ème siècle, la monarchie anglaise considérait le pouvoir royal comme un dessein divin, le monarque étant le récepteur unique et légitime de l'émanation du pouvoir de Dieu. Les sujets ne pouvaient que se plier à ses ordres.

Les jésuites espagnols ne l'entendaient pas de cette manière. Ainsi Fransisco Suarez, dans Defensio Fidei Catolicae adversus Anglicanae sectae errores, considère que les hommes naissent libres de par leur propre nature et qu'ils ne peuvent être serfs d'un autre homme, qu'ils peuvent désobéir et aller jusqu'à déposer un gouvernant injuste.

Luis de Molina écrira que le pouvoir politique appartient au peuple, le peuple étant un ensemble de souverains individuels.

On connaît mieux la suite. Saint-Simon tentera de développer l'idée que le socialisme, c'est le libéralisme politique, plus l'égalité sociale. Ce transfert de l'égalité de l'amont vers l'aval n'a jamais rien produit de bon. Il faut d'ailleurs y déceler une manœuvre.

Alors que l'égalité est une égalité de droits politiques, attachés à la personne, son transfert dans l'univers économique permet d'oublier le lieu auquel elle avait été premièrement assignée.

Tocqueville s'est rendu compte de la manœuvre en considérant que les Saint-Simoniens en réalité tentaient de substituer aux anciennes hiérarchies aristocratiques une nouvelle aristocratie artificielle de provenance étatique : aujourd'hui, les Grands corps d'Etat, l'ENA…. qui sont tout sauf des parangons de l'égalité démocratique.

Les Saint-Simoniens considéreraient d'un très mauvais œil même l'embryon d'un droit breton moderne. Pourtant, la langue bretonne ne peut être réduite à un champ lexical différent du français. Elle doit contribuer à penser différemment, à forger de nouveaux concepts, à dire autrement.

Autre syntaxe, autre conception du monde, elle doit montrer comment le Breton est présent au monde, comment il habite le monde.

On ne peut plus agir par mimétisme.

La France a une académie, alors la Bretagne aura la sienne. Les Etats-Unis n'ont pas d'académie et leur langue se porte à merveille. Hollywood a ses oscars, Paris ses césars, alors on a des hermines…. Il y a la saint Patrick, alors on crée une Saint Yves…

Tout ceci génère un profond malaise et ne forme matière qu'à un prochain ouvrage pour Albert Memmi.

Nous avons un déficit de liberté.

Alors inventons-là.

La marche vers le fédéralisme impose une réflexion sur bien d'autres thèmes qu'une définition de l'organisation politique et administrative. Elle doit aussi s'intéresser aux contenus.

Le droit fédéral peut être un droit mixte qui tient compte du droit commun propre à une région quand il en existe un.

Dire le droit, et pas n'importe lequel, relève bien de la compétence d'un Etat fédéré.

C'est au moins dans ce sens, que nés français, nous pourrions mourir bretons.

Et si au lieu de fêter Saint Yves un peu mécaniquement nous nous inspirions aussi de son travail ?

Le 5 juin 2008

Jean-Yves QUIGUER

Président du Mouvement Fédéraliste de Bretagne


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Samedi 18 mai 2024

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