La langue bretonne appartiendra au patrimoine de la nation française sous le contrôle de la république jacobine.
Nous ne comprenons pas l'enthousiasme jusqu'au délire d'une allégresse non retenue qui a explosé à cette annonce d'un amendement de l'article 1 de la Constitution française.
« Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la Nation»
Accepter que le breton soit une langue régionale, c'est de facto s'accorder sur le contenu l'article 2 de la Constitution qui stipule que « La langue de la République est le français »: langue nationale versus langue régionale.
Comme le concept de nation est un habile subterfuge, que cette nation est intangible, le poids du réel passe par une République qui sait se matérialiser et faire sentir son autorité. Quand la Nation n'est qu'une idée, diffuse et confuse, la République prend la forme et le contenu d'un Etat dictatorial : l'Etat jacobin.
La langue régionale se voit assignée à une fonction subalterne d'amusement, d'animation du patrimoine vivant et de ses pratiques ludiques, de transmission des traditions.
La civilisation ne passerait que par le français, langue de la raison et du progrès de la pensée. La langue nationale, officielle, serait la langue de la vertu en opposition avec ces idiomes régionaux ne traduisant que des particularismes grossiers ou fantaisistes.
Cet amendement ne remet pas en cause, hélas, l'Edit de Villers-Cotterêts du 10 août 1539 qui fit de la langue française la langue officielle des territoires de l'hexagone.
Tant que la notion même de Nation reste inchangée, les langues « régionales » ne pourront jamais accéder au statut de co-officialité.
Le terme patrimoine soulève quelques difficultés. Il apparaît anodin, sans douleur, alors que c'est une piperie dans un texte de droit constitutionnel.
Le droit civil considère le patrimoine comme l'ensemble des biens et des obligations d'une personne, envisagé comme une universalité de droit, c'est-à-dire comme une masse mouvante dont l'actif et le passif ne peuvent être dissociés.
Il existe aussi un code du patrimoine culturel dont l' Article L1 stipule que : le patrimoine s'entend, au sens du présent code, de l'ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique
La notion juridique de patrimoine échappe à l'emprise du droit constitutionnel. L'amendement reste dans l'ordre de l'énonciation. Quelle jurisprudence pourrait-il produire ?
Dans un sens ethnologique utilisé notamment en développement touristique, on appelle patrimoine, « tout objet ou ensemble, naturel ou culturel, matériel ou immatériel, qu'une collectivité reconnaît pour ses valeurs de témoignages et de mémoire historique et en faisant ressortir la nécessité de le protéger, de le conserver, de se l'approprier, de la mettre en valeur et de le transmettre ».
Plus précisément, le patrimoine immatériel, dont les objets sont désignés par le terme mentefact, comprend les savoirs et les savoir-faire caractéristiques d'une collectivité, tels le patrimoine linguistique, la toponymie, le patrimoine scientifique, le patrimoine audiovisuel et le patrimoine d'expression.
Le patrimoine, du latin patrimonium, héritage du père, est un héritage commun qui se transmet aux générations suivantes. On comprend mal comment la nation française puisse se prévaloir d'un titre de propriété sur la langue bretonne. Elle appartient au peuple breton, et ce faisant, au patrimoine mondial dans toute son universalité.
Il existe une corrélation entre le patrimoine et la conservation. La conservation n'est qu'un acte muséographique.
Le breton, parlé par quelques rares locuteurs, deviendrait objet d'attention et de découverte, à l'instar des vielles chapelles et des calvaires.
Il sera inscrit à l'inventaire du patrimoine historique, sans doute protégé.
Que veux-t-on ?
Une formule de ce type, une langue d'écomusée ou une véritable langue vivante ?
Une langue ne survit que par les fonctions qu'elle remplit.
Dans « Le problème corse » (Milan, 1998) Nicolas Giudici écrivait : « dans les années soixante-dix, on estimait à quelque 70 000 le nombre de personnes susceptibles de tenir une vraie conservation en corse, c'est-à-dire d'exprimer dans cette langue l'ensemble des messages liés aux travaux et aux jours. Au crépuscule du siècle, il n'en reste pas 20 000. Pourtant le corse n'a jamais été aussi présent à l'école et dans les médias ».
Renvoyer la langue à la tradition, c'est-à-dire à la manière dont on se rapporte à notre origine, ne peut fonctionner qu'avec l'autorité dont elle est inséparable. La fondation de la Bretagne, de sa langue, a entraîné une obligation pour les générations futures. Elle crée un lien de caractère sacré entre le passé et le présent. L'autorité est alors ce qui augmente, ce qui ajoute à la fondation originelle. (Auctoritas, du verbe augere, augmenter)
En acceptant que la langue bretonne appartienne au patrimoine de la Nation, les mouvements bretons signent leur adhésion à cette conception singulière de la « Nation ». Ils abandonnent toute autorité. La fondation tombe en ruines.
Pire, ils acceptent de se mettre sous la férule de la République jacobine autoritaire.
C'est le glas de toute une mouvance.
La langue bretonne appartient aux Bretons et il est nul besoin de l'avis de députés pour le comprendre. Serions-nous condamnés à ne parler que dans une langue qui aurait reçu au préalable l'agrément d'un parlement godillot, constitué d'élus plus attirés par Narcisse que par l'intérêt général ?
Le pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966, sous l'égide des Nations Unies, prévoit en son article 27 que « Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue ».
La France ferait mieux d'honorer sa signature que de proposer un amendement piège. La France, signataire du pacte en 1980, a émis une réserve à l'article 27, au nom de l'universalisme républicain, arguant du fait que, étant «une et indivisible», les minorités (ethniques, culturelles, linguistiques ou religieuses) n'y existent pas. Le premier ministre de l'époque était Raymond Barre.
Nous considérons que cette manipulation médiatique pourra avoir des conséquences fâcheuses.
Nous n'avons rien à espérer de nos députés locaux qui adorent Paris et ses lumières vives qui leur font oublier d'où ils viennent. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils se font élire : lumières et prébendes, prestige de l'univers du spectacle.
Nous préférerions des représentants au Parlement de Bretagne, dans une Bretagne, Etat fédéré, au sein d'une France et d'une Europe fédérales.
Il est vrai que ça ne serait pas les mêmes : il y a moins de lumières clinquantes à Rennes qu'à Paris. Nous aurions alors des représentants obligés de faire autre chose que de se flatter d'être député.
Le 24 mai 2008
J-Y QUIGUER
Président du Mouvement Fédéraliste de Bretagne
■