Il est étrange que le mouvement culturel et politique breton accorde tant d'importance au «débat» sur les langues dites régionales à l'Assemblée nationale et au Sénat. Il suffit que le député UMP Marc Le Fur annonce à la cantonade sa volonté d'intervenir pour promouvoir ces langues, et voilà toute une effervescence, tout un bouillonnement au sein des diverses instances bretonnes, notamment le Conseil culturel. Comme si un système obsédé d'unité et d'homogénéité culturelle pouvait nous offrir autre chose que l'une de ses meilleures spécialités : « une bouillie idéologique méprisante et mensongère ». Nous nous permettons toutefois d'attirer l'attention sur deux ou trois aspects de cette farce parlementaire.
«Le Credo républicain»
Tout d'abord, on mesure une fois de plus à quel point la République française repose sur le pilier bien fragile d'un système idéologique. Nous entendons par là un ensemble de représentations élaborées en amont, au mépris des faits et des droits, représentations auxquelles les responsables politiques font semblant de croire, et qui n'ont d'autre objectif que de leur permettre d'asseoir leur pouvoir et leur domination.
L'intervention de Mme Albanel en est une remarquable illustration ; ses considérations se réduisent au pur rabâchage d'un dogme. Comme tel, il était d'ailleurs totalement prévisible. Il était question de la répudiation d'une Charte, que l'État ne saurait signer, étant donné qu'en conférant des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, elle porte atteinte aux «principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français». Incompatibilité radicale par conséquent entre la Constitution française et une référence territoriale dans la Charte qui confère des droits spécifiques à des groupes territoriaux. Malgré les sondages qui traduisent les véritables aspirations des Bretons (le plus récent étant celui du journal Le Télégramme), que toute démocratie digne de ce nom prendrait en considération, le pouvoir politique ne désire pas sortir de l'ornière intellectuelle dans laquelle il se complaît, facteur de sclérose et de déclin.
«La France babélisée»
L'hypocrisie de Mme Albanel culmine dans l'évocation des 79 langues recensées par on ne sait quel groupe de travail en 1999. «On mesure donc la difficulté pour la France de fixer le périmètre d'application de la Charte»! Tout cela est fort astucieux. La présentation de la France comme tour de Babel fournit aux partisans de la langue française comme «langue de la République» un argument précieux pour noyer le poisson. Nous nous remémorons un article dans le journal Ouest France du 13 juillet 1999, intitulé «Le parlanjhe pourrait bénéficier de la Charte récemment signée». L'article présentait un ouvrage de , professeur de linguistique à l'université de Poitiers. Enseignant l'occitan, le poitevin et le saintongeais, elle avait intitulé son livre le «Parlanjhe de Poitou-Charentes-Vendée en trente questions». Le poitevin saintongeais est parlé à l'ouest de la France sur un territoire qui s'étend de l'embouchure de la Gironde à la Loire-Atlantique. (1)
La ministre de la Culture exploite habilement cette problématique spécieuse à laquelle cèdent la plupart des responsables politiques et culturels bretons. Ayant enfourché de tels arguments pendant des décennies, il leur est difficile de s'exonérer de leurs responsabilités. N'est-il pas courant d'invoquer les «langues de Bretagne»? Ne met-on pas généralement sur le même pied d'égalité le breton et le gallo ? N'est-il même pas de bon aloi de dénoncer la langue unifiée et de brandir comme un étendard la variété des dialectes ? Tout cela traduit une indigence intellectuelle, une misère de la pensée dont les tenants du pouvoir savent astucieusement tirer parti.
Manifestement, toute une réflexion doit être menée si l'on ne veut pas éviter les pièges que nous tend le pouvoir politique et pour nous mettre à l'abri des critiques qu'il pourrait formuler à notre encontre. Quel avenir de culture et de pensée offrirait-on, en effet, aux jeunes générations si on se bornait à leur proposer un retour à des langues qui n'ont survécu que dans des formes parlées, pour l'essentiel privées de l'indispensable passage à la maturité que donnent les forme écrite, littéraire, philosophique ? N'est-ce pas les enfermer dans un ghetto mental ? Il convient donc de ne pas amalgamer de telles langues avec celles qui sont devenues, à travers l'histoire, sources de créativité et de connaissance dans les différentes sphères de l'existence.
«D'Albanel à Mélenchon»
À cet égard, il nous paraît intéressant de prêter attention aux déclarations de Jean-Luc Mélenchon. Comme par hasard, il s'en prend au breton unifié et à celui qui représente à ses yeux l'artisan de cette unification. N'est-ce pas significatif qu'il fasse mention des «cinq langues bretonnes» ? Nous nous souvenons que, dans un débat à Guingamp sur le rôle de Roparz Hemon durant la seconde guerre mondiale, (on était au paroxysme de la désinformation, à l'heure où les sbires de l'appareil d'État se livraient à un matraquage forcené de notre culture), le seul intervenant choisi par les autorités politiques locales pour dénoncer l'activité «collaboratrice» de cet écrivain, se livrait principalement à un réquisitoire contre le breton unifié ! Stupéfiant de constater que la hantise de cet individu n'était autre que la disparition du «breton de Rostrenen». N'est-ce pas la preuve que de telles questions sont agitées depuis longtemps dans les réseaux occultes, et que leur inquiétude porte avant tout sur l'avènement d'une langue créatrice de civilisation ? Les lignes de fracture ne recouvrent pas le clivage droite-gauche : Monsieur Mélenchon comme Madame Albanel partagent les mêmes hallucinations idéologiques.
(1) Note : L'auteur déclarait : «Énormément de travaux ont été effectués sur le poitevin saintongeais. Cette langue, écrite et parlée depuis des siècles, contribue, en définissant le paysage culturel du Centre Ouest, à enrichir la palette culturelle de l'humanité». Le nombre de locuteurs n'était pas mentionné, mais la langue en question est étudiée à l'université de Poitiers et est l'objet d'une épreuve facultative pour les futurs enseignants.
Nous venons d'utiliser le terme de langue pour qualifier le poitevin. Pourquoi pas ? Il mérite cette dénomination tout autant que le léonard, le vannetais ou le cornouaillais. Et, comme cette langue est parlée au sud de la Loire-Atlantique, il conviendrait même, si l'on entre dans cette logique, que les militants bretons soutiennent les revendications linguistiques des défenseurs du poitevin saintongeais.
LBDH le 22 mai 2008
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