Nous pensons que l'erreur est de croire qu'il faille procéder à des ajouts à l'article 2 de la Constitution, comme ça a été une grave erreur de le modifier en 1992 en précisant que « la langue de la République est le français ».
Nous pensons qu'une langue, comme la couleur d'une peau, n'appartient pas à l'objet d'une constitution.
Une constitution a un seul objectif : garantir la liberté des individus.
La Cour suprême des États-Unis le rappelle sans cesse. Son rôle n'est pas de maintenir l'existence d'un État, ni de garantir son fonctionnement. Son rôle est de garantir la liberté individuelle. Il est évident que l'organisation des pouvoirs politiques et publics sert la liberté, mais ce ne sont là que des instruments.
Le rappel à la Constitution américaine est justifié par sa modernité démocratique et par sa stabilité. La Constitution américaine est silencieuse sur la langue. Il n'y a pas de langue officielle aux États-Unis.
Les États fédérés peuvent seulement prendre des dispositions dans la mesure où elles sont conformes avec la Constitution fédérale. Il s'ensuit que les mesures prises sont en majorité des dispositions du type « English plus » qui tendent à favoriser et à encourager l'utilisation de la langue américaine, sans nuire à la pratique et à l'usage des autres idiomes.
Où serait la liberté si un individu était forcé de s'exprimer dans une langue dont il ne veut pas, ou qu'il ne connaît pas ?
Les langues se pratiquent par héritage, par culture, mais aussi sous l'impératif de la communication et de l'échange.
Elles sont, avant tout, la langue du pain.
À quoi cela sert-il d'affirmer l'officialité d'une langue ?
Aux sourds-muets ? Le signe est universel.
L'anglo-américain n'a pas besoin d'être officiel pour être parlé dans le monde entier.
Il n'y a pas d'Alliance américaine, du style « Alliance française ».
On a une Alliance française, une académie, un ministère de l'Éducation nationale, une langue officielle, pour souligner la décadence du français.
Aux États-Unis, où il n'y a rien de tout cela, il y a Microsoft, Coca-Cola et Mc Donald and co qui font plus pour la langue américaine que toutes nos dépenses publiques inutiles...
Dès lors qu'il n'y a plus de langue officielle, on peut parler celle qu'on veut. On peut être monolingue quand c'est possible.
On pourrait avoir un panneau d'entrée de ville qui indique Skaer sans avoir un second panneau juste au dessus qui indique... Scaer. Le bilinguisme devient ridicule quand il empêche le monolinguisme.
Effet pervers d'un problème mal posé.
Il ne s'agit pas d'un problème linguistique : il s'agit de la liberté.
Un homme libre parle la langue qu'il veut.
L'intégrité bretonne, souillée par les mains sales de la République française, par la violence de ses hussards noirs, par son jacobinisme direct et sournois, ne saurait à nouveau prospérer au seul avantage d'une modification textuelle d'un article d'une constitution qui lui est, en grande part, étrangère.
Une constitution doit faire silence sur ce qui n'est pas son objet.
Qu'il y a t-il à craindre pour la langue française ou pour la langue bretonne ?
Rien.
Si je parle cherokee à Brest, je vais avoir du mal à me faire comprendre et je suis condamné au soliloque.
À force de vouloir ajouter un trait d'officialité aux langues, dans quelques années on aura un article 2 allongé : on y verra inscrit l'arabe avec ses variantes, des dialectes africains et le polonais, sans doute, réclamé par la progéniture des nombreux plombiers émigrés…
La langue relève autant de l'intimité que de la chose publique. Qui accepterait qu'on mentionne que la couleur de peau officielle du Français doit être blanche ?
Laissez-nous causer comme on l'entend. Ici en breton, là en gallo, là-bas en français, allà en buen romance, y aqui en bable, aca en gallego..
Les langues n'appartiennent ni aux États, ni aux juristes, encore moins aux linguistes. Qu'en est-il du calo, du manouche, du sinto ?
Noam Chomsky l'a bien compris, lui qui, auteur de la grammaire générative, se préoccupe aujourd'hui du citoyen « génératif », et est passé de la langue à l'être qui la parle.
Il suffit de penser à Antonin Artaud et à « La pensée d'avant les mots », pour se méfier des certitudes. Une langue qui se donne uniquement en représentation est-elle encore une langue ?
H. L Mencken avait saisi le poids d'une langue et de sa densité :
« When two-thirds of the people who use a certain language decide to call it a freight train instead of a goods train, they are right. Then the first is correct usage and the second is a dialect »
(Quand les deux tiers des gens qui utilisent une langue donnée décident d'appeler un train de marchandises « freight train » au lieu de « goods train » ils ont raison. Alors la première appellation est d'un usage correct et la seconde est dialectale).
C'est la revanche des Américains sur ce qu'ils n'ont pu obtenir lors de leur indépendance : une langue propre, différente de l'anglais britannique, un combat notamment mené par Noah Webster, auteur du dictionnaire qui porte son nom, dictionnaire de référence de la langue américaine.
Il n'y a rien de plus officiel que le locuteur et le choix qu'il fait.
Il en va de la démocratie.
L' avenir de la langue bretonne repose, en grande partie, sur la force de l'économie de la Bretagne.
Quand Alan Stivell chante en breton dans le monde entier, il fait vivre à la fois la langue bretonne et la Bretagne.
Si la langue bretonne avait été aussi la langue du pain, elle ne serait pas là où elle se trouve aujourd'hui. Il ne s'agit pas de minimiser le lexique et la grammaire, seulement de relativiser le rôle qu'ils remplissent. La génération qui n'a pas transmis la langue ne peut être accusée. Elle s'est trouvée enserrée sous les contraintes d'un rapport de force qui lui était défavorable, le locuteur, comme la langue qu'il parlait, subissant le mépris et le dédain, l'insolence et la dérision.
Encore faut-il que ce pain ne soit pas celui de l'aumône publique, mais bien celui façonné par les Bretons eux-mêmes. L'origine de Diwan démontre que l'action autonome est la seule voie pérenne. Il n'est pas assuré qu'une allégeance à un ministère de l'Éducation nationale apporte une quelconque garantie.
Une langue sous subventions n'est pas davantage qu'un objet de musée. Une langue sous tutelle dépend des caprices du tuteur.
Nous n'avons rien à attendre ni à espérer d'un état providence qui n'est plus que l'ombre de lui-même.
Ce n'est pas l'article 2 de la Constitution qu'il faut modifier, mais toute la Constitution qu'il faut radicalement transformer en constitution fédérale, une bonne fois pour toutes.
Osons sortir de la muséographie et affirmons notre volonté d'exister à la face du monde.
Le véritable combat pour la langue bretonne ne peut être dissocié de l'émancipation de la Bretagne dont l'autonomie légitime ne peut être réalisée que dans le cadre du fédéralisme.
Le droit à l'expérimentation demandé par la Région n'est qu'un permis de dépenses publiques qui ne résoudra rien et sera à l'origine d'une augmentation de la pression fiscale. Il aurait pour conséquences de diviser les Bretons, d'en ruiner quelques-uns tout en enrichissant quelques privilégiés politiques de la communauté brittophone. Ce ne serait que le droit d'un certain type de représentation.
Diwan, aujourd'hui, fait consensus. Le contexte du rapport de force a changé.
C'est bien au niveau des institutions que tout se joue. Et ce sont elles qu'il faut modifier, de toute urgence.
Dans une Bretagne fédérée, la langue bretonne ne serait plus une langue « régionale » langue adjective soumise à la condescendance des lettrés francophones.
Elle serait langue de Bretagne.
Le 10 mai 2008
Jean-Yves QUIGUER
Président du Mouvement Fédéraliste de Bretagne
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