Le gouvernement français refuse de ratifier la Charte européenne des langues régionales et minori

Dépêche publié le 7/05/08 23:13 dans Politique par Pierrick Le Feuvre pour Pierrick Le Feuvre

Budapest. 7 mai 1999. Au nom du gouvernement français, Lionel Jospin, alors Premier ministre, signait la charte européenne des langues régionales et minoritaires. Un mois plus tard, le texte de la charte était censuré par le Conseil Constitutionnel au nom de l'article 2 de la Constitution qui, depuis 1992, affirme : «La langue de la République est le français.»

Neuf ans plus tard jour pour jour, à l'initiative du député UMP Marc Le Fur, vice-président de l'Assemblée nationale, un débat était organisé à l'Assemblée nationale sur la question des langues régionales. «Un débat historique», annonçait le député costarmoricain. Au nom du gouvernement, Catherine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, a mis les choses au clair : pas question de ratifier la charte européenne ! Pas question de modifier la Constitution...

Les élus du Peuple peuvent débattre ! C’est le Gouvernement, qui n’est élu par personne, qui décide. Que vive la démocratie française.

Voici l'intégralité de son intervention en conclusion des débats, y compris les coupures par quelques député(e)s :

Mme Christine Albanel, ministre de la Culture – La vigueur, la conviction, l'inspiration parfois très personnelle de vos interventions témoignent de la place qu'occupe la question des langues régionales qui, au-delà des institutions et des milieux spécialisés, intéresse l'ensemble des Français. Ils attendent des réponses claires.

Le Gouvernement ne souhaite pas s'engager dans un processus de révision constitutionnelle pour ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, et cela tout d'abord pour des raisons de principe. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 juin 1999, avait en effet relevé que la ratification de la Charte supposait l'adhésion à son préambule, aux dispositions générales et à ses objectifs et principes, qui ne sont pas dépourvus de toute portée normative. La ratification de la Charte implique la reconnaissance, qui n'est pas seulement symbolique, d'un droit imprescriptible de parler une langue régionale, notamment dans la sphère publique. Ce droit, qui figure explicitement dans son préambule, est, comme l'a souligné le Conseil, contraire à des principes constitutionnels aussi fondamentaux que l'indivisibilité de la République, l'égalité devant la loi et l'unité du peuple français. Le problème va donc au-delà de l'articulation de la Charte avec l'article 2 de la Constitution : cette ratification engagerait notre noyau dur constitutionnel, qui interdit de conférer des droits particuliers à des groupes spécifiques, et qui plus est sur des territoires déterminés. D'ailleurs, l'expression de « minorité linguistique », qui tend à faire penser à des minorités opprimées, me paraît contraire à la philosophie et à la réalité de notre République.

D'autre part, personne ne pourrait défendre l'idée d'une administration obligée de s'exprimer aussi dans la langue d'une région donnée, et qui recrute des fonctionnaires qui la maîtrisent, afin de faire droit à des revendications légitimées par la charte. Ce serait l'une des conséquences logiques possibles de la ratification.

Mme Marylise Lebranchu – Mais non !

Mme Christine Albanel, ministre de la Culture – Le gouvernement signataire de la Charte en 1999 l'avait bien compris, qui avait assorti sa signature d'une déclaration interprétative. Mais qui nous assure qu'une autre interprétation ne sera pas faite ? Vous me direz que nos grands voisins, comme l'Espagne, l'Allemagne ou la Grande-Bretagne ont ratifié la charte.

Mme Marylise Lebranchu – Absolument.

M. Yves Censi – Vous étiez garde des Sceaux, à cette époque !

Mme Marylise Lebranchu – C'est le président Chirac qui m'a empêchée de ratifier !

M. Yves Censi – Et qui était Premier ministre ?

M. le Président – Je vous en prie, seule Madame la ministre a la parole.

Mme Christine Albanel, ministre de la Culture – Mais il faut convenir que la forme de l'État y est différente, de même que la place des langues régionales.

La question de la langue a toujours revêtu une dimension particulière dans notre histoire institutionnelle et politique, depuis que l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 a imposé au Parlement et aux tribunaux l'usage du français contre le latin. Il n'est donc pas étonnant que notre langue occupe une place symbolique dans notre socle de références communes. Par ailleurs, la ratification supposerait de clairement identifier les langues auxquelles le texte aurait vocation à s'appliquer. Selon le groupe de travail qui s'était appliqué à les recenser en 1999, il y en aurait quelque 79, dont 39 outre-mer. En métropole, cela inclut l'ensemble des langues concernées par la loi Deixonne – basque, breton, catalan, gallo, langue mosellane, langues régionales d'Alsace et langues d'oc – auxquelles s'ajoutent notamment le flamand occidental, le franco-provençal et les langues d'oïl, ainsi que cinq langues parlées par des ressortissants français sur notre territoire : berbère, arabe dialectal, yiddish, romani, arménien occidental. On mesure donc la difficulté pour la France de fixer le périmètre d'application de la Charte, qui ne donne pas d'indication sur les critères d'éligibilité, comme un nombre minimum de locuteurs par exemple. Le risque de dispersion des moyens serait réel, au détriment des langues les plus représentatives.

Mme Marylise Lebranchu – Bon, on peut rentrer à la maison…

Mme Christine Albanel, ministre de la Culture – La charte a la particularité d'offrir des options : les États qui y adhèrent s'engagent à respecter, outre les principes et objectifs généraux, au moins 35 de ses 98 mesures. La France a sélectionné lors de sa signature 39 engagements, dont celui de rendre accessibles dans les langues régionales minoritaires les textes législatifs nationaux les plus importants. Cela représenterait un coût très important pour l'État, proportionnel au nombre de langues retenues. Cette obligation concernerait les textes à venir mais aussi actuels, et entraînerait une sélection forcément subjective des textes les plus importants. Quant aux collectivités territoriales, elles ne seraient certes pas obligées de traduire leurs textes, mais leur refus pourrait sans doute être contesté devant les tribunaux sur le fondement du droit imprescriptible à parler une langue régionale que reconnaît le préambule de la charte.

Ratifier la Charte serait donc contraire à nos principes. L'appliquer serait difficile et coûteux et d'une portée pratique pour le moins discutable. Elle n'apporterait au mieux qu'une réponse symbolique à la question bien réelle de mieux faire vivre les langues régionales dans notre pays. Car notre refus de ratifier n'est pas du tout incompatible avec la promotion et la protection du pluralisme linguistique : il faut veiller à ne pas opposer les langues régionales à la langue de la République. La singularité française se nourrit de la richesse de nos territoires, et les langues régionales font partie de notre patrimoine commun. Reconnaître la diversité linguistique, ce n'est pas nécessairement reconnaître des droits spécifiques et imprescriptibles à leurs locuteurs dans la sphère publique : c'est d'abord encourager leur usage, permettre leur enseignement à chaque fois que les familles le demandent et favoriser leur expression culturelle, artistique et médiatique sur tout le territoire.

À cet égard, nous aurions avantage à y voir plus clair dans les textes actuels. Le Conseil constitutionnel montre la voie : ne sont contraires à la Constitution aucun des engagements souscrits par la France, dont la plupart se bornent à reconnaître des pratiques déjà en œuvre. Le Conseil ouvre ainsi une très large marge de manœuvre qui est à mon sens insuffisamment exploitée. En réalité, de nombreuses dispositions législatives existent déjà dans les cinq domaines énumérés par la Charte : médias, activités culturelles, échanges transfrontaliers, justice, et autorités administratives et services publics. Je rappelle qu'aucune disposition n'interdit à une collectivité locale de traduire ses propres délibérations – ce qui constitue une nuance importante avec l'obligation de traduction. De même, rien n'empêche de mettre en valeur les bonnes pratiques et de conforter les territorialisations existantes, dans le respect des valeurs républicaines. Le principe de la demande des familles étant clairement posé, nous pourrions développer des conventions avec les collectivités locales et les associations, à l'image de celles qui régissent l'enseignement et la promotion de la langue basque dans les Pyrénées atlantiques, avec le très remarquable office public de la langue basque.

Mais si les dispositions légales et réglementaires existent, il est vrai qu'elles sont insuffisamment connues et qu'elles constituent un véritable maquis. Ce dont nous avons besoin donc, c'est d'un cadre de référence. Le Gouvernement vous proposera un texte de loi, ainsi que le Président de la République en avait émis l'idée lors de la campagne électorale, qui pourra récapituler l'existant et entrer dans le concret, dans le domaine des médias – on a évoqué les problèmes posés par le passage au numérique par exemple – de l'enseignement, de la signalisation ou encore de la toponymie. Ce texte ne devrait pas trop tarder à vous être présenté.

Voilà l'approche du Gouvernement pour accroître la place des langues régionales sur notre territoire et garantir leur vitalité : permettre plutôt que contraindre, inciter et développer plutôt qu'imposer. Il s'agit d'ouvrir un espace d'expression plus large aux langues historiquement parlées sur notre territoire – bref, de favoriser l'exercice d'une liberté d'expression. Nous la garantirons dans le respect de nos principes fondamentaux et du rôle primordial du français, notamment en matière d'apprentissage – le Premier ministre a rappelé dans le rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française qu'elle est au plus profond le lien qui nous rassemble autour des valeurs de la République. Il n'est naturellement pas question de transiger sur le statut du français, mais personne d'entre vous ne le demande…

En donnant une forme institutionnelle à la notion de patrimoine linguistique, en inscrivant dans la loi la diversité linguistique interne, nous conforterons la bataille que nous menons en Europe et dans le monde pour favoriser le multilinguisme et la diversité culturelle. Les régions qui ont les plus fortes identités linguistiques sont en effet souvent celles qui sont les plus à l'aise dans la mondialisation.

Plusieurs députés du groupe UMP – C'est vrai !

Mme Christine Albanel, ministre de la Culture – Souvent, les enfants qui maîtrisent une langue régionale sont mieux armés pour parler d'autres langues. Je ne doute pas que le Parlement, renforcé dans ses pouvoirs par la réforme des institutions, prendra toute sa part à l'élaboration de cette loi. D'ailleurs, j'ai entendu aujourd'hui nombre d'idées et de suggestions précises tout à fait intéressantes qui montrent le degré de son engagement sur cet important sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).


Notes

Les retranscriptions de l'intégralité des interventions de chaque député sont consultables sur ouiaubreton (voir le site)


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